Les névroses d’organe et leur traitement

Nombre de maladies courantes ont une origine psychique mais se manifestent par un dysfonctionnement réel d’un ou de plusieurs organes. On les appelle névroses d'organe. Du fait qu’elles comportent à la fois des troubles subjectifs et objectifs on est amené à les distinguer de l’hystérie, mais il est difficile de définir la frontière qui les sépare de celle-ci ou de nombreuses maladies organiques. La cause en revient sans doute aux insuffisances de notre science, mais il faut aussi y ajouter le fait que nombre de maladies organiques s’accompagnent d’une névrose de l’organe en cause et qu’en outre les symptômes hystériques s’associent souvent à des maladies organiques ou à des névroses d’organe que l’hystérie vient renforcer.

La névrose d’organe la plus connue est sans doute ce qu’on appelle la neurasthénie, dite en allemand : faiblesse nerveuse. C’est un neurologue américain qui, dans la première moitié du XIXème siècle, en fit le premier la description et l’attribua aux ébranlements provoqués dans le système nerveux par les voyages en train, encore peu courants à cette époque. On a depuis longtemps démontré, l’innocuité des voyages en train mais le beau mot grec de « neurasthénie » ne s’en est pas moins incrusté dans la médecine comme dans l’esprit des gens et il continue à désigner toute une série d’états différents : dépressions psychiques, excitabilité et faiblesse physiques, symptômes physiques ou psychiques d’angoisse ou d’obsession. La psychanalyse est la première à avoir démontré qu’une grande partie des tableaux cliniques dits neurasthéniques étaient des troubles purement psychiques et que l’on pouvait les guérir par des moyens psychiques. Cependant, après avoir éliminé tous les états susceptibles de recevoir une explication psychique, un groupe a subsisté que nous appelons aujourd’hui encore neurasthénie. Les neurasthéniques se fatiguent très vite physiquement et psychiquement, ils sont très sensibles aux stimuli externes et souffrent de céphalées et de troubles intestinaux. En ce qui concerne les hommes, la puissance sexuelle est perturbée : ils présentent souvent des éjaculations précoces et des pollutions qui peuvent être associées à un élancement désagréable, voire douloureux, dans le dos (connu jadis sous le nom d’« irritation spinale »). Pourtant, il n’y a nulle trace de maladie organique, notamment rien à la moelle épinière, et aucun symptôme alarmant dans ce sens.

L’état neurasthénique s’explique par certaines erreurs en matière d’hygiène sexuelle. De tout temps on a répandu des idées particulièrement angoissantes sur l’auto-satisfaction (onanisme), c’est-à-dire le fait de se procurer le plaisir sexuel par des pratiques sur son propre corps (en général par frottement des organes génitaux, accompagné de représentations voluptueuses). Déjà la Bible condamne la masturbation comme péché mortel ; au siècle dernier on voyait dans la tuberculose de la moelle épinière une conséquence de la masturbation ; et à notre époque, c’est la démence précoce qu’on prétend expliquer ainsi. Aujourd’hui encore cette superstition n’est pas morte. En fait, la masturbation représente une étape normale du développement sexuel chez tout être humain. Seuls deviennent neurasthéniques ceux qui restent attachés trop longtemps et trop intensément à cette étape, ceux qui continuent à pratiquer la masturbation, souvent de manière compulsive, bien après avoir atteint la maturité.

Cependant, même dans ce cas, la neurasthénie ne s’explique pas seulement par le processus physique de la masturbation ; le plus souvent viennent s’y ajouter des processus psychiques comme l’obsession et le sentiment de culpabilité.

Aussi, avant de se déclarer neurasthénique ou malade nerveux, on ferait bien de consulter un médecin possédant une formation analytique, lequel réussit souvent à supprimer la plupart des symptômes en fournissant des explications et en allégeant le fardeau de la conscience. Si cela s’avère insuffisant, un traitement psychique approprié fera disparaître les obstacles qui s’opposent au développement normal de la sexualité. En tout cas, l’abandon du mode de satisfaction immature apportera la guérison.

En bref, la véritable neurasthénie prend presque toujours ses racines dans la sexualité et il est possible de la guérir par des moyens psychiques et une certaine hygiène sexuelle. Bon nombre de neurasthénies considérées comme graves disparaîtront d’elles-mêmes, sans intervention médicale, quand on aura admis l’innocuité de l’auto-satisfaction.

Une autre maladie de ce genre est ce qu’on appelle la « névrose d’angoisse ». Là encore se trouvent associés des symptômes physiques et psychiques : une angoisse diffuse sans fondement ou insuffisamment justifiée, un état permanent d’appréhension (crainte de malheurs, interprétation pessimiste de symptômes parfaitement bénins, tant pour soi-même que pour les autres), accès d’angoisse accompagnés de tremblements, sueurs d’angoisse, palpitations, cauchemars, oppression, diarrhée, mictions compulsives, etc. Comme les symptômes neurasthéniques, les symptômes d’angoisse peuvent survenir secondairement à une maladie organique réelle qui est demeurée inaperçue, par exemple à une affection nasale, respiratoire ou cardiaque. Mais ils peuvent tout aussi bien constituer les symptômes partiels d’une hystérie d’angoisse. Pour les distinguer, il est nécessaire de pratiquer à la fois un examen physique minutieux et une investigation psychanalytique. Si on ne trouve rien de suspect, l’attention devra se porter sur la vie sexuelle du malade. Et on découvrira alors très fréquemment que ceux qui souffrent de ces symptômes ont certes des rapports sexuels mais en règle générale sur un mode malsain. Ils évitent la fécondation en interrompant le coït avant l’éjaculation ou prolongent délibérément la durée de l’acte sexuel, ou encore ils s’excitent dans les plaisirs préliminaires sans jamais parvenir à l’orgasme.

En règle générale, un changement approprié de l’hygiène sexuelle du patient fait disparaître rapidement (en une ou deux semaines) la maladie qui paraissait souvent grave et même inquiétante. Dans la négative, il s’agit d’un cas où maladie organique et maladie névrotique sont étroitement mêlées et toutes les deux exigent un traitement médical.

Une coïncidence relativement fréquente et particulièrement pénible est le cas où le mari souffre d’éjaculations précoces de type neurasthénique et la femme de « frigidité » avec tendance à l’angoisse. Le médecin aura bien du mal à faire en sorte que s’établisse cette harmonie de l’acte sexuel si importante pour le bonheur conjugal. Des difficultés économiques et sociales interviennent ici, en particulier la différence excessive qui caractérise la vie sexuelle des deux sexes avant le mariage. La suppression ou la réduction de cette différence sera une des tâches principales de l’hygiène, mais il faut dire que d’autres obstacles, assez considérables, se dressent aussi sur cette voie.

Outre ces deux maladies, il existe encore toute une série de névroses dites « névroses monosymptomatiques », que l’on peut considérer comme des névroses d’organe. La plus connue est l'asthme dit nerveux. Il s’agit de troubles respiratoires qui surviennent par crises, s’accompagnent le plus souvent d’angoisse et présentent des signes manifestes d’une contraction pathologique des muscles bronchiques. Une expectoration de mucus glaireux marque souvent la fin de la crise. Dans ce qu’on appelle les névroses de l'estomac, il y a excès ou insuffisance de l'acidité gastrique. Également très fréquent, le « trouble intestinal nerveux » qui, sans aucune altération organique, se présente sous forme de diarrhée, constipation, sécrétion muqueuse, crampes, flatulences, ou par un ou plusieurs de ces symptômes. Dans les névroses cardiaques, elles aussi très répandues, la force et le rythme de l’activité cardiaque sont perturbés sans qu’on puisse constater une cause organique, et le malade a des sensations très douloureuses qui lui font croire en permanence à une maladie de cœur.

Ce n’est que tout récemment, en fait depuis que Freud a attiré l’attention sur les activités érotiques et montré qu’elles méritaient également une étude scientifique, que la science a pu envisager la possibilité d’un érotisme d’organe. Il est maintenant hors de doute que non seulement les organes sexuels et les organes des sens servent à se procurer un gain de plaisir mais que tous nos organes, en plus de leur fonction d’autoconservation, consacrent une partie de leur activité à l’obtention du plaisir ; ils procurent une sorte de plaisir d’organe (Alfred Adler) que l’on pourrait en quelque sorte concevoir comme une autosatisfaction érotique que les organes tirent de leur propre activité. Dans l’enfance, on voit bien la joie ludique procurée par toutes sortes d’activités organiques, et l’enfant en est parfaitement conscient, mais on peut également en constater l’existence chez tous les adultes, ou du moins en déceler des traces. Ce qu’on appelle le « bien-être physique de la bonne santé » est étroitement lié au sentiment de plaisir qui résulte du bon fonctionnement des organes. De ce bien-être fait partie le plaisir de manger, qui ne tient pas seulement à l’apaisement de la faim et à la saveur des aliments. Presque tout le monde éprouve un certain plaisir à mastiquer, à avaler et déglutir, et beaucoup prennent également plaisir aux autres processus de la digestion. Certaines personnes éprouvent ce plaisir organique avec une intensité particulière, souvent presque pathologique. Elles ne peuvent réprimer leur excitation en avalant ou leur plaisir en retenant leurs selles. Le mot « excitation » traduit déjà le plaisir qui s’attache au processus pathologique.

Des études psychanalytiques ont constaté que précisément dans les névroses d’organe ce fonctionnement érotique ou ludique d’un organe peut prendre une importance excessive, au point même de gêner son activité utile proprement dite ! En général, cela se produit quand la sexualité est perturbée pour des raisons psychiques. On trouve là l’indication d’un traitement psychothérapeutique, ainsi que la raison pour laquelle ces troubles sont si tenaces sans pourtant mettre jamais la vie en danger.

Citons encore brièvement quelques névroses d’organe. La migraine doit sans aucun doute entrer dans cette catégorie ; il existe certainement des maux de tête relevant de la névrose d’organe. Dans bien des cas, une tendance à l'impuissance peut, quand on a éliminé toute cause organique, être considérée comme un trouble névrotique de l’innervation des vaisseaux sanguins. Il y a également des racines névrotiques à la sensibilité marquée aux secousses dans les voyages en train, ainsi qu’à la tendance au mal de mer qui lui est associée. Pour finir, nous voudrions signaler que des maladies purement organiques peuvent laisser, après guérison, des troubles caractéristiques d’une névrose d’organe. Un exemple bien connu en est l’apparition de clignotements après une conjonctivite, clignotements qui peuvent persister longtemps sous forme de « tic » ou même constituer une habitude durable. De même, certains enfants gardent parfois des années durant une toux nerveuse après une coqueluche. Les grimaces et autres contorsions courantes connues sous le nom de « tics » semblent en général être des troubles fonctionnels relevant d’une névrose d’organe. À la limite entre les névroses psychiques et les névroses organiques, on trouve également les phénomènes nerveux, généraux et locaux, qui surgissent parfois après une opération ; le choc psychique provoqué par le danger de mort et l’état d’irritation dans lequel se trouve l'organe concerné par l’intervention chirurgicale y contribuent à part égale.

Le cours de toute maladie organique est d’ailleurs affecté favorablement ou défavorablement par des influences psychiques. Ainsi une bonne nouvelle stimule les forces du malade tandis qu’une mauvaise les affaiblit. Il est assez fréquent de voir une brusque amélioration de l’état d’esprit du malade mettre un terme à une maladie chronique qui allait en empirant. Dans les maladies fébriles, on peut quasiment lire l’influence de ces événements sur la courbe de température. On connaît bien également l’exacerbation des symptômes et de la douleur physique sous l’effet d’une attente anxieuse et, à l’inverse, leur disparition à l’arrivée du médecin (ou encore la brusque disparition des maux de dents dans la salle d’attente du dentiste). C’est pourquoi on réussit à guérir certaines maladies organiques sans traitement médical et local, par l’influence psychique et des pratiques nullement scientifiques, voire du domaine de la superstition. L’efficacité de ces méthodes repose sur la foi du malade, sur sa « suggestibilité ».

Il a fallu attendre la méthode psychanalytique introduite par Freud pour pouvoir explorer jusqu’à une profondeur insoupçonnée jusque-là la vie pulsionnelle où corps et psychisme ne cessent de s’influencer mutuellement. La psychanalyse explique finalement la suggestibilité par les marques indélébiles que la relation parent-enfant laisse sur tout être humain. Certains médecins disposent d’une toute-puissance sur la vie psychique et physique de leur malade qui est une répétition de la toute-puissance des parents sur les enfants et, dans les deux cas, l’amour et la crainte sont les motifs de l’obéissance excessive. La psychanalyse appelle transfert les répétitions de la relation parents-enfant et elle montre comment ces répétitions peuvent être provoquées chez les patients et servir à sa guérison.

C’est essentiellement dans le domaine des névroses à caractère psychique que le transfert sur le médecin a remporté ses plus grands succès, mais des résultats appréciables ont également été obtenus dans le traitement des troubles organiques. Par rapport à toutes les tentatives de ce genre qui l’ont précédée, la psychothérapie analytique a l’avantage d’être dépourvue de tout occultisme et de rester constamment en contact étroit avec la psychologie (étude scientifique des phénomènes de l’esprit) et la biologie (science des processus vitaux).

Déjà la psychanalyse a remporté des succès dans le traitement de maladies organiques telles que les maladies cardiaques et pulmonaires. Dans une grave maladie de cœur, l’allègement de l’activité cardiaque sous l’influence du transfert, et après la découverte des foyers psychiques refoulés de la maladie, peut permettre de neutraliser un trouble compensatoire du système circulatoire qui a pris des proportions dangereuses. L’influence psychique que l’on peut exercer sur une tuberculose pulmonaire à ses débuts est si manifeste que tout sanatorium devrait faire appel à un psychanalyste expérimenté. Si la psychanalyse, en rétablissant l’harmonie de la vie affective du malade et plus particulièrement de sa vie sexuelle, est capable de guérir aussi des maladies organiques, il faut bien admettre que la régénération nécessaire à la guérison puise ses forces à la source de l’énergie sexuelle, comme si l’auto-conservation, en cas de danger particulièrement grave (maladie), devait faire appel à la conservation de l’espèce.

L’avenir verra se répandre le traitement psychanalytique des maladies organiques, parfaitement compatible avec le traitement médical classique toujours nécessaire.