24. La ficelle : un aspect technique de la communication117 (1960)

Un garçon de 7 ans fut amené au Service de Psychologie de l’Hôpital pour Enfants de Paddington Green par sa mère et son père, en Mars 1955. Les deux autres membres de la famille les accompagnaient aussi : une fille, débile mentale de 10 ans, qui allait dans une école spécialisée et une autre fille de 4 ans, à peu près normale. Ce garçon était adressé par le médecin de famille, en raison d’une série de symptômes indiquant un trouble mental. Tous les détails qui ne se rattachent pas directement au thème principal de cet article ont été laissés de côté. Un test indiqua que le garçon avait un coefficient intellectuel de 108.

J’ai tout d’abord vu les parents, qui m’ont donné au cours d’un long entretien, un tableau clair du développement du garçon et des troubles qui ont affecté ce développement. Ils omirent, pourtant, un détail important qui apparut dans l’entretien que j’eus avec le garçon.

Il n’était pas difficile de voir que la mère était dépressive ; d’ailleurs, elle raconta qu’elle avait été hospitalisée pour dépression. D’après le récit des parents, je notai que la mère s’était occupée du garçon jusqu’à la naissance de la sœur ; il avait alors 3 ans et 3 mois. Ce fut la première séparation d’importance ; la séparation suivante eut lieu lorsqu’il avait 3 ans et 11 mois, quand la mère dut subir une opération. Le garçon avait 4 ans et 9 mois lorsque la mère était entrée à l’hôpital psychiatrique, où elle était restée 2 mois, et, pendant ce temps, il fut bien soigné par la sœur de sa mère. A ce moment-là, d’après tous ceux qui s’en sont occupés, le garçon était difficile, tout en ayant de très bons côtés. Il changeait brusquement d’humeur et faisait peur aux gens, en disant, par exemple, qu’il couperait la sœur de sa mère en petits morceaux. Des symptômes bizarres se manifestèrent, par exemple une compulsion à lécher les objets et les personnes ; il faisait entendre des bruits de gorge ; souvent il refusait d’aller à la selle puis se souillait. De toute évidence, la déficience mentale de sa sœur aînée l’inquiétait, mais il semble que la distorsion de son développement soit apparue avant que ce facteur ait pris de l’importance.

Après cet entretien avec les parents, je vis le garçon dans un entretien personnel. Deux travailleurs sociaux psychiatriques et deux visiteurs y assistaient. Le garçon ne donna pas immédiatement l’impression qu’il y avait quelque chose d’anormal et rapidement il se mit à un jeu de gribouillis avec moi. (Dans ce jeu, je trace une espèce de dessin de traits spontanés et j’invite l’enfant que j’examine à en faire quelque chose : puis c’est lui qui fait un griffonnage pour que je le transforme à mon tour.)

Ce jeu, dans le cas présent, conduisit à un curieux résultat. La paresse du garçon fut tout de suite mise en évidence ; par ailleurs il traduisait presque tout ce que je faisais en quelque chose se rapportant à de la ficelle. Sur les 10 dessins qu’il fit, il y eut : lasso, fouet, manche de fouet, la corde d’un yo-yo, un nœud de corde, un autre manche de fouet, un autre fouet.

A la suite de cet entretien avec le garçon, j’en eus un second avec les parents, et je les interrogeai sur cette préoccupation de l’enfant à l’égard de la ficelle. Ils dirent qu’ils étaient contents de me voir aborder ce sujet, mais qu’ils ne l’avaient pas mentionné parce qu’ils n’étaient pas sûrs de son importance. Ils racontèrent que le garçon était devenu obsédé par tout ce qui touchait à la ficelle ; d’ailleurs, chaque fois qu’ils entraient dans une pièce, ils risquaient de trouver les chaises et les tables attachées les unes aux autres ou bien un coussin, par exemple, relié par une ficelle à la cheminée. Cette préoccupation du garçon prenait peu à peu un tour nouveau, qui leur avait causé, non plus un simple souci, mais une inquiétude réelle. Dernièrement, il avait attaché une ficelle autour du cou de sa sœur (cette sœur dont la naissance avait été la cause de la première séparation d’avec sa mère).

Dans ce type d’entretien, je savais que l’action que je pourrais exercer était limitée ; il n’était pas possible que je voie ces parents ou le garçon plus d’une fois tous les 6 mois car la famille habitait la campagne. J’agis donc de la façon suivante : j’expliquai à la mère que ce garçon souffrait d’une peur de la séparation, qu’il essayait de nier la séparation en utilisant ainsi la ficelle, de même qu’on nie la séparation d’avec un ami en utilisant le téléphone. Elle était sceptique, mais je lui dis que si elle venait à trouver du sens à ce que je lui expliquais, je voulais qu’elle aborde la question avec le garçon à un moment favorable ; elle pourrait lui dire ce que j’avais expliqué et parler ensuite avec lui sur le thème de la séparation suivant la réaction de l’enfant.

Je n’eus plus de nouvelles de ces gens jusqu’à la visite suivante, environ 6 mois plus tard. La mère ne me rapporta pas ce qu’elle avait fait, mais je le lui demandai et elle put me dire ce qui s’était passé peu de temps après leur consultation. Elle avait eu le sentiment que ce que je disais était stupide, pourtant un soir elle avait abordé le sujet avec le garçon ; il s’était montré désireux de parler de sa relation avec elle et de sa crainte de ne pas avoir de contact avec elle. Elle évoqua avec son aide toutes leurs séparations et elle fut bientôt convaincue en voyant ses réactions que j’avais eu raison. En outre, de la minute où elle avait eu cette conversation avec lui le jeu avec la ficelle cessa. Il ne joignait plus les objets entre eux comme auparavant. Elle avait eu bien d’autres conversations avec le garçon sur ce sentiment qu’il avait d’être séparé d’elle. A ce propos, elle fit une remarque très importante : elle avait le sentiment que la séparation la plus importante avait été qu’il l’avait perdue lorsqu’elle avait été gravement déprimée ; ce n’était pas seulement son départ, dit-elle, mais le manque de contact entre eux, parce qu’elle avait été si totalement préoccupée par d’autres choses.

Lors d’un entretien ultérieur, la mère me raconta qu’un an après sa première conversation avec le garçon, il se remit à jouer avec de la ficelle et à rattacher des objets entre eux dans la maison. En fait, il fallait qu’elle aille à l’hôpital se faire opérer et elle lui dit : « Tu joues avec la ficelle et je vois que tu es inquiet parce que je m’en vais, mais cette fois, je ne resterai partie que quelques jours et l’opération qu’on va me faire n’est pas grave. » Après cette conversation, prit fin cette nouvelle période de jeux avec la ficelle.

Je suis resté en contact avec cette famille et l’ai aidée à propos de divers détails concernant la scolarité du garçon et d’autres questions. Maintenant, 4 ans après le premier entretien, le père rapporte que le garçon fait de nouveau un épisode de jeu de ficelle, en relation avec une récente dépression chez la mère. Cette épisode a duré deux mois, et a pris fin lorsque toute la famille est partie en vacances ; en même temps, la situation familiale s’est trouvée améliorée (le père ayant un emploi après une période de chômage). L’état de la mère s’était amélioré aussi. Le père m’a raconté un autre détail intéressant, dans le cadre de notre sujet. Au cours de ce dernier épisode, le garçon avait fait avec de la corde quelque chose que le père jugeait significatif, parce que cela montrait à quel point tout était intimement lié à l’anxiété morbide de la mère. Il rentra un jour et trouva le garçon suspendu la tête en bas à une corde. Il était tout à fait flasque, jouant bien le mort. Le père se rendit compte qu’il ne fallait pas y faire attention et il resta dans le jardin à faire une chose ou une autre ; cela dura une demi-heure, après quoi le garçon en eut assez et mit fin à ce jeu. Il mettait ainsi à l’épreuve l’absence d’angoisse du père. Toutefois, le lendemain, le garçon fit la même chose à un arbre que l’on pouvait facilement voir de la fenêtre de la cuisine. La mère se précipita dehors très effrayée et certaine qu’il s’était pendu.

Voici encore un détail qui peut être important pour la compréhension de ce cas. Quoique ce garçon, maintenant âgé de 11 ans, se développe comme « un dur », il est très timide et rougit facilement jusqu’aux oreilles. Il a un certain nombre d’ours en peluche qui sont ses enfants. Personne ne s’aventure à en parler comme de jouets. Il leur est dévoué, leur manifeste beaucoup d’affection et leur fait des pantalons qu’il coud soigneusement. Son père dit qu’il paraît tirer un sentiment de sécurité de sa famille d’ours qu’il traite comme une mère traite ses enfants. S’il arrive des visiteurs, il les met vite dans le lit de sa sœur, parce qu’il ne faut pas que quelqu’un en dehors de la famille sache qu’il a cette famille. Il faut aussi noter une réticence à déféquer ou une tendance à garder ses selles. Il n’est donc pas difficile de deviner qu’il a une identification maternelle, due à sa propre insécurité par rapport à sa mère et que cela pourrait devenir de l’homosexualité. De même, la préoccupation concernant la ficelle pourrait devenir une perversion.

Commentaire

Il semble utile de faire les commentaires suivants :

  1. La ficelle peut être considérée comme une extension de toutes les autres techniques de communication. Elle relie, de même qu’elle sert à empaqueter des objets, et à rattacher des matériaux fragmentaires. Sous ce rapport, la corde a une signification symbolique pour tout le monde ; une utilisation exagérée de la ficelle peut facilement se rapporter à l’origine d’un sentiment d’insécurité ou à l’idée d’une absence de communication. Dans le cas présent, il est possible de distinguer une déviation de la normale dans la façon dont le garçon utilise la ficelle, et il est important de trouver un moyen de définir le changement qui pourrait conduire à une utilisation pervertie.

    Il semble possible d’y parvenir si l’on prend en considération le fait que la fonction de la ficelle change et passe de la communication à un déni de la séparation. En tant que déni de la séparation, la ficelle devient une chose en soi, quelque chose qui a des propriétés dangereuses et dont il faut se rendre maître. Dans le cas cité, la mère semble avoir pu s’occuper de l’utilisation de la ficelle chez le garçon juste avant qu’il soit trop tard, lorsque cette utilisation offrait encore de l’espoir. Lorsque l’espoir fait défaut et que la ficelle représente un déni de séparation, il y a alors un état de choses bien plus complexe, qu’il devient difficile de guérir en raison des bénéfices secondaires qu’apporte la capacité qui se forme chaque fois qu’il faut manipuler un objet pour s’en rendre maître.

    Ce cas présente donc un intérêt particulier s’il permet d’observer le développement d’une perversion.

  2. Cette observation montre aussi comment on peut se servir des parents. Chaque fois qu’il est possible de les utiliser, ils peuvent travailler avec une grande économie, et il ne faut pas oublier qu’il n’y aura jamais assez de psychothérapeutes pour traiter tous ceux qui en ont besoin. Cette famille était une bonne famille qui avait traversé une période difficile en raison du chômage du père ; elle avait pu prendre l’entière responsabilité d’une fille arriérée en dépit des immenses inconvénients que cela comporte, sur le plan social et au sein de la famille ; elle avait surmonté les mauvaises périodes de la dépression de la mère, y compris une période d’hospitalisation. Une famille comme celle-ci doit avoir beaucoup de force et c’est en se basant sur cette hypothèse que l’on a décidé d’inviter ces parents à entreprendre la thérapie de leur enfant. Ce faisant, ils apprirent beaucoup eux-mêmes, mais il était nécessaire de les informer de ce qu’ils faisaient. Ils avaient aussi besoin de leur succès pour être appréciés et pour que tout le processus soit verbalisé. Le fait qu’ils avaient sorti leur garçon de cette maladie leur avait donné confiance ; ces parents se sentaient plus capables de faire face, dorénavant, aux autres difficultés qui surgissent de temps à autre.

Résumé

C’est la brève description d’un cas illustrant la compulsion d’un garçon à utiliser de la ficelle, d’abord pour essayer de communiquer symboliquement avec sa mère en dépit de son repli au cours de périodes dépressives, puis en guise de déni de la séparation. Comme symbole du déni de la séparation, la ficelle devint une chose qui était effrayante et il fallait en devenir maître, son utilisation fut alors pervertie. Dans ce cas, la mère fit elle-même la psychothérapie, le psychiatre lui ayant expliqué ce qu’elle avait à faire.


117 Publié pour la première fois in Journal of Child Psychology and Psychiatry, I, pp. 49 à 52.