Interprétation et traitement psychanalytique de l’impuissance psycho-sexuelle1

Rares sont les arguments objectifs opposés à l’interprétation et au traitement des psychonévroses selon la méthode de Freud. L’un d’entre eux est que ce traitement n’a qu’une action symptomatique. Il supprime peut-être les symptômes hystériques, mais ne guérit pas le fond hystérique. Freud répond fort justement que la critique est beaucoup plus indulgente pour les autres modes de traitement de l’hystérie. Par ailleurs, une analyse suffisamment approfondie — que Freud compare aux fouilles archéologiques — peut provoquer chez le patient une modification si fondamentale de la personnalité que nous ne sommes peut-être plus en droit de la considérer comme pathologique. Les observations de Jung et de Muthmann permettent même de conclure qu’une analyse menée à son terme renforce les défenses de l’individu face à de nouveaux traumatismes psychiques, presque au point d’un individu sain non analysé. Nous savons désormais que les bien-portants conservent toute leur vie un certain nombre de complexes de représentations inconscients refoulés, qui peuvent, à l’occasion d’un traumatisme, intervenir avec toute leur énergie affective pour en augmenter l’effet pathogène.

Par contre, l’obligation d’apporter une telle preuve disparaît lorsque notre tâche se limite à la réduction d’un seul symptôme. Parmi elles, une des plus difficiles demeure le traitement de l’impuissance dite psychique.

Tel est le nombre des personnes atteintes et si grande est leur misère morale, que je n’ai jamais cessé de multiplier les tentatives de traitements médicamenteux2 et suggestifs3 pour y remédier. Les deux méthodes m’ont valu quelques succès, mais jamais de résultats vraiment satisfaisants. Je suis d’autant plus heureux aujourd’hui de pouvoir faire état de résultats plus positifs, grâce à la méthode psychanalytique de Freud4. Avant toute considération théorique, je veux passer à l’exposé de quelques cas, réservant mes remarques pour la conclusion.

Un artisan de trente-deux ans se présente à ma consultation. Son comportement craintif, presque soumis, annonce d’emblée la « neurasthénie sexuelle ». Je pense d’abord qu’il est écrasé par une culpabilité de masturbation et ses conséquences. Mais son mal est beaucoup plus sérieux ; depuis qu’il est parvenu à l’âge d’homme il n’a jamais connu de satisfaction sexuelle à cause d’une érection imparfaite et d’une éjaculation précoce. Il avait consulté plusieurs médecins ; l’un d’entre eux, bien connu par ses annonces publicitaires dans la presse, l’avait brutalement apostrophé : « vous vous épuisez vous-même, voilà ce qui vous arrive ! » Le patient, qui entre quinze et dix-huit ans avait effectivement pratiqué l’onanisme, en tira la ferme conviction que l’impuissance était la conséquence méritée et irrémédiable de ce « crime de jeunesse ».

Cette expérience pénible l’avait pour un temps écarté des médecins ; plus tard, il fit une nouvelle tentative avec un autre médecin qui le traita par le moyen privilégié de la thérapeutique suggestive : le courant électrique, lui prodiguant force encouragements. Mais il n’y eut aucun résultat. Le malade se serait résigné à son sort, s’il n’avait récemment rencontré une jeune fille à son goût. C’est ce qui le décida à faire cette « ultime tentative ».

Le cas est assez banal ; l’anamnèse ne contenait aucun élément significatif. Il apparut que l’impuissance s’accompagnait d’un ensemble de symptômes névrotiques, principalement des troubles du sommeil, cauchemars, hyperesthésie auditive, paresthésies diverses et une hypocondrie intense ; il s’agissait donc d’une névrose d’angoisse au sens de Freud, provoquée par l’insatisfaction sexuelle et de fréquentes excitations frustes. Car le patient, malgré la défaillance de son mécanisme de coït au moment critique, fantasmait continuellement à l’état de veille ou de demi-sommeil des situations sexuelles qui s’accompagnaient d’érections intenses. C’est ce fait qui me fit soupçonner qu’outre les conséquences nerveuses de l’abstinence, le malade devait également souffrir de psychonévrose, la cause de l’impuissance devant être recherchée dans un complexe de représentations inconscient, dont la force d’interdiction, d’inhibition, se manifestait à l’instant précis du coït. Cet état morbide est bien connu sous le nom d’« impuissance psychique » ; nous savions que c’est l’inhibition résultant de la peur qui interrompait le passage de l’arc réflexe, par ailleurs intact. Cependant il était généralement admis que cet état s’expliquait par la simple « lâcheté », ou par le souvenir d’un échec sexuel, et notre action médicale se bornait à rassurer, à encourager, avec, parfois, quelques résultats. Connaissant la psychologie selon Freud, je ne pouvais me satisfaire d’une explication aussi superficielle ; je fus amené à supposer que l’impuissance n’était pas déterminée par la « peur », mais par des processus mentaux inconscients à contenu bien défini, dont les racines remontaient à la première enfance, probablement un désir sexuel infantile qui, au cours du développement culturel, est devenu impossible et même, impensable. À toutes mes questions posées dans ce sens, le patient répondit négativement. Rien de particulier ne lui était arrivé ; il n’avait jamais fait aucune observation ni expérience de caractère sexuel en rapport avec ses parents, sa famille ou son entourage ; dans son enfance il ne s’occupait guère de « ces choses-là » ; il n’avait jamais présenté de tendances homosexuelles ; l’idée de faire fonctionner ses « zones érogènes » lui répugnait (érotisme anal, oral) ; exhibitionnisme, sadisme, masochisme lui étaient inconnus. Tout au plus reconnut-il, d’assez mauvaise grâce, une prédilection un peu excessive pour les pieds et les souliers féminins, sans pouvoir donner aucun renseignement sur l’origine de cette attirance fétichiste. Naturellement j’ai invité le malade à me raconter en détail comment il a acquis ses connaissances sexuelles, ses fantasmes de masturbation, le déroulement de ses premières tentatives sexuelles manquées. Mais même cette anamnèse approfondie ne révéla rien qui pût donner une explication satisfaisante de son état. Nous savons cependant depuis Freud qu’une anamnèse, même en supposant la plus grande franchise et une excellente mémoire chez le patient, ne traduit pas la véritable histoire du développement de l’individu ; la conscience sait si bien « oublier » les souvenirs et pensées devenus pénibles que seul le laborieux travail d’analyse peut les faire surgir du refoulement et les ramener à la conscience. J’appliquai donc, sans hésiter, la méthode psychanalytique.

L’analyse confirma rapidement mes soupçons quant à la psychonévrose. À côté des symptômes déjà mentionnés, le patient se plaignait de diverses paresthésies hystériques ; puis plusieurs thèmes obsessionnels apparurent : impossibilité de regarder les gens dans les yeux, lâcheté, sentiment de culpabilité, peur du ridicule, etc...

Ces formations obsessionnelles sont très caractéristiques de l’impuissance sexuelle. La lâcheté de l’impuissant s’explique par la diffusion dans toute la personnalité de l’effet humiliant de cette insuffisance. Freud dit fort justement que l’efficacité sexuelle préfigure toute la personnalité (Vorbildlichkeit der Sexualität). Le degré de sûreté de l’efficacité sexuelle oriente la sûreté du jugement et des actes. Cependant le sentiment immotivé de culpabilité, si important chez notre malade, fait soupçonner l’existence de pensées en quelque sorte « vraiment coupables », plus profondément refoulées. Petit à petit l’analyse a accumulé le matériel qui m’a permis de déduire la nature de cette « culpabilité ».

Tout d’abord je fus frappé par l’intérêt marqué que le patient manifestait dans ses rêves pour les femmes corpulentes « dont il ne voyait jamais le visage » ; avec elles, même en rêve il lui était impossible d’achever l’acte : au dernier moment, au lieu de la pollution attendue, il était pris d’une angoisse intense et s’éveillait en sursaut, en proie à des pensées telles que : « Cela ne peut être ! », « Cette situation est impensable ! ». Après ces rêves angoissants il s’éveillait épuisé, moulu, couvert de sueur, le cœur battant, et passait une très mauvaise journée.

Le fait que dans ses rêves il ne voyait jamais le visage de la femme constitue un exemple typique de déformation onirique (« Traumentstellung »), dont le but est de rendre méconnaissable la femme vers laquelle convergent les pensées libidinales. Par contre le réveil en sursaut indique une prise de conscience débutante de « l’impossibilité de cette situation » avec la femme évoquée dans le rêve. La crise d’angoisse est la réaction affective de la conscience supérieure à l’accomplissement de ce désir.

Un excellent auteur hongrois (Ignotus) a découvert, semble-t-il, l’existence de la déformation onirique et de la censure onirique, comme en témoigne le fragment de poème suivant :

« ...Les rêves d’un lâche révèlent l’homme.

La vie le brise et le frappe si durement

Qu’il n’ose même pas rêver son bonheur. »

À ceux que leur orgueil médical pousse à mépriser les belles lettres, je réponds comme je l’ai fait dans mon article intitulé « L’amour dans la science » (Gyógyàszat, 1901) que les sources de notre connaissance de la psychologie individuelle ne se trouvent pas dans la littérature médicale mais plutôt dans les œuvres littéraires et poétiques.

L’interdit frappant la satisfaction sexuelle était si fort chez notre malade que même dans ses fantasmes sexuels diurnes, au moment d’imaginer l’acte, il se reprenait et détournait ailleurs sa pensée.

Freud m’a fait observer avec quelle fréquence les impuissants répètent le rêve-type de l’examen, que l’on rencontre d’ailleurs également chez les individus de puissance normale ; je peux moi-même pleinement confirmer cette observation. Il arrive que ces sujets rêvent plusieurs fois dans une même semaine qu’ils passent leur baccalauréat, leur licence, etc... mais qu’ils ne peuvent pas réussir, faute d’une préparation suffisante. Cette incapacité dans le rêve résulte du sentiment d’incapacité sexuelle. De même c’est probablement une métaphore vulgaire pour signifier le coït qui explique pourquoi les impuissants que j’ai eus en traitement rêvaient si souvent d’armes à feu rouillées, enrayées, qui font long feu ou manquent leur but, etc...

Une certaine cruauté active se faisait souvent jour dans les rêves de notre malade ; il se voyait sectionnant le doigt de quelqu’un à coups de dents, le mordant au visage, etc... ; il ne fut pas difficile d’en retrouver l’origine dans l’hostilité qu’il éprouvait dans son enfance pour un frère, son aîné de vingt ans, hostilité pleinement justifiée par le comportement de celui-ci envers son cadet. Cette tendance à la cruauté se retrouve également à l’état de veille, masquée par la lâcheté du patient. Chaque fois qu’il s’était montré lâche devant quelqu’un, un supérieur généralement, il passait ensuite de longues minutes à fantasmer des situations où il ferait preuve d’énergie envers cette même personne, ou bien lui infligerait divers châtiments corporels. C’est la manifestation de « l’esprit d’escalier »5 si fréquent chez les psychonévrosés dont les fantasmes restent en général à l’état d’éternelles rêveries ; dès la prochaine occasion la vieille timidité viendra réprimer l’insulte jaillissante, retenir la main prête à frapper. Le rapport psychologique étroit entre lâcheté, cruauté et impuissance sexuelle est fort bien mis en évidence par Ibsen dans le personnage de l'évêque Nicolas (les « Prétendants »). Cette lâcheté et cette timidité prennent leur origine dans le respect qui compensait autrefois la révolte de l’enfant contre les châtiments corporels et les remontrances des parents et des aînés.

Étant donné le rapport physiologique et l’étroite association d’idées qui existe entre les fonctions d’éjaculation et de miction, il n’est pas surprenant que l’analyse ait également révélé chez ce patient une inhibition à la miction. Il était incapable d’uriner en présence d’une autre personne. Lorsqu’il était seul dans un urinoir public, il produisait un jet normal et régulier. Mais dès qu’une autre personne entrait, le jet était interrompu, « comme si on l’avait coupé ». Cette grande pudeur qu’il manifestait même à l’égard des hommes m’a fait conclure que la composante homosexuelle chez ce patient est supérieure à la moyenne, comme chez la plupart des névrosés. J’ai pensé que son origine pouvait être liée à la personne d’un jeune frère dont il avait partagé le lit pendant de nombreuses années, et avec qui il avait conclu une alliance offensive et défensive contre les brimades du frère aîné. Quand je parle d’« homosexualité supérieure à la moyenne », c’est pour souligner que l’observation psychanalytique confirme la théorie de la bisexualité, à savoir que la structure primitivement bisexuelle de l’homme ne laisse pas seulement des traces anatomiques6 mais aussi des traces psychosexuelles qui, sous l’effet de circonstances extérieures favorisantes peuvent devenir dominantes.

Instruit par d’autres analyses de cas semblables, je soupçonnai que la femme corpulente du rêve dissimulait quelque proche parente du malade ; mais il rejeta ce soupçon avec indignation et m’annonça triomphalement qu’une seule de ses sœurs était corpulente, celle précisément qu’il ne pouvait souffrir. Mais ceux qui ont constaté, comme moi, combien souvent une sympathie pénible pour la conscience est dissimulée sous un excès de rudesse et d’humeur, ne se laisseront pas désarmer par cette information (« Ich hasse weil ich nicht lieben kann »7, Ibsen).

Peu après, le patient me fit part d’une étrange hallucination hypnagogique qui s’était déjà produite auparavant. Au moment de s’endormir, il eut l’impression que ses pieds (qu’il sentait chaussés alors qu’ils étaient nus) se soulevaient, tandis que sa tête s’enfonçait ; il fut alors saisi d’angoisse, comme si souvent dans ses rêves, et se réveilla en sursaut. J’ai déjà mentionné son fétichisme des chaussures et des pieds ; j’ai donc repris l’analyse approfondie des associations, idées et souvenirs du malade sur ce thème, qui fit surgir des souvenirs depuis longtemps oubliés et fort désagréables pour le malade. Cette sœur corpulente « qu’il ne peut souffrir » et qui est son aînée de dix ans, avait l’habitude de faire boutonner et déboutonner ses souliers par le patient alors âgé de 3-4 ans ; souvent aussi elle le faisait sauter à cheval sur sa jambe nue, déclenchant ainsi une sensation voluptueuse. (Il s’agit sans aucun doute d’un « souvenir écran », au sens de Freud ; certainement d’autres choses encore se sont passées entre eux). Lorsque plus tard il voulut recommencer, sa sœur, qui avait déjà 15-16 ans, le rappela sévèrement à l’ordre pour ce désir, qualifié d’immoral et d’inconvenant.

Je pus dès lors communiquer à mon patient ma ferme conviction que la base psychologique de son impuissance devait être recherchée dans son désir refoulé mais vivace de répéter ces actes, désir devenu incompatible avec la « morale sexuelle civilisée ».

Le patient ne fut qu’à demi convaincu et resta sur sa dénégation. Mais dès le lendemain, il vint m’annoncer, fort confus, qu’ayant beaucoup réfléchi à tout ce qui a été dit, il s’était rappelé que souvent dans sa jeunesse (de 15 à 18 ans), il avait pris pour objet de ses fantasmes de masturbation son expérience infantile avec sa sœur ; ce sont les remords provoqués par l’immoralité de ces pensées qui l’ont amené à abandonner ce thème ; par la même occasion, il avait cessé de se masturber. Depuis, il n’avait plus jamais repensé à ces choses.

J’encourageai le patient à poursuivre ses tentatives de rapports pendant la durée de l’analyse. Peu après l’interprétation du rêve précédent, il arriva l’air radieux et m’annonça que la veille, pour la première fois de sa vie, il avait eu un rapport terminé par un orgasme complet, et d’une durée satisfaisante : avec l’avidité caractéristique des névrosés, il répéta l’exploit deux fois encore dans la même journée, chaque fois avec une autre femme.

Il poursuivit le traitement pendant un certain temps encore, et j’entrepris d’analyser les autres symptômes de sa névrose ; mais son principal objectif étant atteint, il n’était pas suffisamment motivé pour continuer ; je mis donc fin à la cure.

Quelques explications sont nécessaires pour comprendre ce succès thérapeutique. L’important ouvrage de Freud sur le développement de la sexualité chez l’individu (Trois essais sur la théorie de la sexualité) nous apprend que l’enfant reçoit ses premières impressions sexuelles de son entourage immédiat et que ces impressions déterminent le choix ultérieur de l’objet sexuel. Il arrive toutefois que par suite de facteurs constitutionnels ou de circonstances extérieures (enfant trop gâté par exemple), ce choix d’objet incestueux soit fixé. Cependant le sens moral naissant de l’individu se défend de toutes ses forces et refoule les désirs contraires à la morale. Au début, le refoulement réussit parfaitement, comme nous l'avons vu dans le cas précédent (« Période de la défense réussie », Freud) ; mais sous l’effet des modifications organiques de la puberté, de sécrétions internes peut-être, le désir peut renaître, de sorte qu’un nouveau refoulement devient nécessaire. Chez notre patient, ce deuxième refoulement est marqué par l’interruption de la masturbation. Mais le refoulement entraîne également l’éclosion de la névrose, dont certains symptômes, parmi d’autres, sont l’impuissance datant des premières tentatives de coït et l’aversion pour sa sœur aînée. Le patient était incapable d’accomplir l’acte sexuel car toute femme lui rappelait — inconsciemment — sa sœur ; et il ne pouvait souffrir sa sœur car — sans le savoir — il voyait en elle non seulement sa parente mais aussi la femme, et l'« antipathie » constituait la meilleure des protections. Cependant, le contrôle de l’inconscient sur la personnalité physique et psychique de l’individu ne se maintient que jusqu’à ce que l’analyse dévoile le contenu des pensées qui s’y dissimulent. Dès que la conscience vient projeter sa lumière sur ces processus, le pouvoir tyrannique du complexe inconscient s’écroule ; les pensées écartées cessent d’être un réservoir d’affects sans possibilité d’abréaction et s’intègrent dans l’enchaînement normal des idées.

Dans le cas étudié, c’est ainsi que, grâce à l’analyse, la censure a pu être circonvenue ; dès lors l’énergie affective du complexe n’était plus convertie en symptôme organique (inhibition sexuelle), mais a pu se désintégrer sous l’effet de l’activité d’idéation et, comme tous les affects conscients, s’effacer en perdant sa signification inadéquate.

L’impuissance psychosexuelle résulte d’une « fixation incestueuse » ; loin d’être une exception, cette origine est relativement fréquente. J’en trouve la confirmation dans les analyses de Steiner et de Steckel qui ont abouti à des conclusions identiques. Je puis moi-même citer d’autres cas. Un psychonévrosé en voie de guérison (qui souffrait d’idées obsessionnelles angoissantes et de compulsions) présentait également une impuissance sexuelle en tous points semblable à celle du malade précédent. Ce symptôme disparut complètement dans sa 28ème année, au bout de six mois d’analyse, lorsque ses pensées incestueuses infantiles dirigées sur sa mère furent mises à jour. Si j’ajoute que ce patient, parmi ses complexes de représentations inconscients, nourrissait également des idées hostiles à son père, nous y reconnaîtrons une personnification typique du mythe d’Œdipe dont la signification générale pour l’humanité nous a également été révélée par Freud.

Les racines de l’impuissance psychique peuvent remonter aux pensées libidinales refoulées de l’enfance ; elles ne concernent pas seulement les parents les plus proches, mais aussi d’autres personnes ; il suffit qu’elles aient appartenu d’une façon ou d’une autre à la catégorie des personnes « respectables ». Je donnerai l’exemple de ce malade âgé déjà de quarante-cinq ans, dont les crises d’angor cardiaque (angora pectoris nervosa) de même que l’état d’insuffisance sexuelle, ont trouvé leur explication dans ses fantasmes irrespectueux à l’égard de sa défunte mère nourricière. La fixation incestueuse (si l’on peut s’exprimer ainsi au sujet de personnes qui ne sont pas du même sang) résultait du fait que la mère nourricière elle-même n’avait pas respecté dans son amour pour l’enfant les limites nécessaires : jusqu’à l’âge de dix ans le garçon avait partagé son lit et elle subissait sans protester sa tendresse déjà fortement teintée d’érotisme. Ce sont ces cas qui m’ont faire dire que « les tentations et les dangers qui menacent la jeunesse viennent souvent de leurs propres parents et éducateurs ». J’irai même plus loin : « il n’est pas rare que l’enfant soit la victime d’entreprises sexuelles déguisées de la part de parents plus âgés. Je pense ici non seulement aux misérables habitants des taudis surpeuplés, mais aussi aux milieux favorisés dont on aurait pu supposer les enfants à l’abri des tentations »8. Le rôle tragique joué par la mère nourricière dans la vie du patient s’est confirmé par la suite ; lorsque le patient, il y a quelques années, avait manifesté l’intention de se marier, la mère nourricière, âgée alors de plus de soixante-dix ans, s’était suicidée de désespoir ; le malade était persuadé qu’elle s’était tuée parce qu’elle avait entendu dire beaucoup de mal de la femme qu’il voulait épouser. Ce drame avait déclenché les crises d’angor cardiaque qui prennent ici le sens littéral de « peines de cœur » : une douleur morale convertie. L’insuffisance sexuelle existe depuis la puberté ; elle s’est considérablement améliorée par l’analyse : cependant, le malade ayant également subi un traitement urologique, je veux retenir de ce cas le seul aspect pathogénique.

À côté des cas d’inhibition psychosexuelle déterminée par des complexes inconscients, Steiner distingue deux autres catégories d’impuissance masculine, qu’il attribue essentiellement soit à une faiblesse congénitale (« Minderwertigkeit »), soit à des influences post-pubertaires. La valeur de cette classification est à mon avis plus pratique que théorique.

Une étude plus poussée des cas « congénitaux » montre qu’un grand nombre d’entre eux relève de la pseudo hérédité. Les enfants de parents anormaux sont exposés dès leur jeune âge à des influences psychologiques anormales de la part de leur entourage et reçoivent une éducation faussée ; ce sont ces mêmes influences qui éventuellement détermineront plus tard la névrose et l’impuissance ; sans elles, l’enfant « taré » aussi serait peut-être devenu un homme normal.

Freud compare la pathogénèse des psychonévroses à celle de la tuberculose. Dans la phtisie la prédisposition joue un rôle important, mais le véritable agent pathogène est tout de même le bacille de Koch, et s’il pouvait être tenu à l’écart, personne ne mourrait de la seule prédisposition. Les influences subies dans l’enfance jouent le même rôle dans les névroses que les bactéries dans les maladies infectieuses. Certes il faut admettre que lorsque la prédisposition est très marquée, les influences omniprésentes et inévitables de la vie courante peuvent suffire à provoquer une incapacité fonctionnelle, néanmoins il faut affirmer que ce sont les influences et non la prédisposition qui déterminent les symptômes de la névrose ; ainsi, même dans ces cas, la thérapeutique analytique a quelques chances d’aboutir. Il reste à savoir, naturellement, s’il est avantageux ou non pour la société que des individus psychiquement aussi vulnérables soient mis en mesure de prolonger l’espèce.

À mon avis, l’impuissance psychosexuelle acquise après la puberté ne diffère qu’en apparence de celle sous tendue par des complexes inconscients. Si un sujet capable d’effectuer normalement l’acte sexuel pendant un certain temps perd cette faculté sous l’effet d’une cause anxiogène quelconque (peur d’une infection, d’une maladie, excitation sexuelle trop intense, etc...) l’on peut supposer qu’il subsiste chez lui des complexes infantiles sexuels refoulés. Ainsi, l’effet exceptionnellement intense, pathologique, de l’agent pathogène est dû à l’affect lié à ces complexes et déplacé sur la réaction actuelle.

D’un point de vue pratique, Steiner a raison d’isoler ce groupe car, comme il le fait remarquer fort judicieusement, on peut traiter ces cas en rassurant le patient, en appliquant n’importe quelle thérapeutique suggestive, ou bien par une analyse assez superficielle (qui est tout simplement l’ancienne catharsis selon Breuer et Freud, « l’abréaction »). Cependant ces traitements n’ont pas la valeur prophylactique d’une psychanalyse plus profonde ; les analyses selon Muthmann, Frank, Bezzola, apparaissent donc comme d’une moindre efficacité. Cependant elles ont l’avantage — comme le procédé par suggestion — d’imposer une charge beaucoup moins lourde, au malade comme au médecin.

C’est une analyse superficielle de ce genre qui a guéri mon jeune malade devenu impuissant à la suite d’une gonorrhée, par peur de l’infection, et également un autre de mes patients, devenu impuissant après avoir vu un saignement menstruel.

Un homme de trente-six ans retrouva sa confiance en soi après avoir été encouragé et rassuré par suggestion : très actif autrefois sur le plan sexuel, il était devenu impuissant lorsqu’une union légale l’avait mis dans l’obligation d’accomplir son « devoir » conjugal. Cependant dans ce cas, je pourisuivis l’analyse même après le rétablissement de la fonction : j’aboutis à la découverte des faits suivants : le patient, vers l’âge de trois ou quatre ans, avait, à l’instigation d’un adulte, masturbé les organes génitaux d’une fillette du même âge ; la fillette en même temps, avec un petit clou en bois comme ceux dont se servait le père du patient, un tonnelier, pour réparer les tonneaux troués, lui avait percé le prépuce. Il avait beaucoup souffert ; une intervention avait été nécessaire pour extraire le clou. À la peur s’était ajoutée l’humiliation. Ses petits camarades avaient eu vent de l’aventure et l’avaient surnommé « le douteux ». Il devint sombre et renfermé. À la puberté, la peur lui vint que la cicatrice ne réduisît sa puissance ; mais après quelques hésitations de début, il parvint à un relatif succès. Cependant la peur de ne pouvoir satisfaire aux exigences sexuelles accrues du mariage écrasait à un tel point cet homme déjà soumis aux effets d’un complexe infantile, qu’il s’ensuivit une inhibition totale de la fonction.

Ce cas est instructif à plusieurs égards. Il démontre que si la puissance fonctionnelle est rétablie après la disparition des idées angoissantes actuelles, cela ne veut pas dire que la peur était la seule cause de l’inhibition ; il est même probable que dans ce cas comme dans d’autres semblables la peur actuelle n’est pathogène que parce qu’elle fait l’objet d’un déplacement d’affect dont la source est dissimulée dans l’inconscient. L’analyse superficielle, les méthodes suggestives, ont simplement émoussé le symptôme en réduisant la surcharge qui pèse sur l’appareil neuro-psychique à un niveau où le patient peut s’en accommoder par lui-même. Par ailleurs ce cas illustre comment les expériences sexuelles infantiles autres que la fixation incestueuse, lorsqu’elles sont accompagnées d’une humiliation intense, peuvent également être à l’origine d’une inhibition psychosexuelle ultérieure.

Il y a un mode d’humiliation sexuelle infantile qui mérite une mention particulière, du fait de son importance pratique ; il s’agit de l’humiliation que l’entourage inflige à l’enfant surpris à se masturber, et dont l’effet déprimant est accru encore par les châtiments corporels et les menaces de maladies mortelles qui l’accompagnent. Mais on ne peut reprocher aux parents et aux éducateurs d’appliquer une méthode indélicate et dangereuse pour l’avenir de l’enfant, alors même qu’une partie des médecins l’approuve et l’inflige à ses propres enfants. Cependant Freud a montré comment la manière de déshabituer l’enfant de l’onanisme agit de façon déterminante sur le développement ultérieur du caractère — ou d’une névrose. L’isolement psychique des enfants face aux problèmes sexuels, la rigueur excessive de la répression des habitudes infantiles, la terreur et l’humiliation, le respect écrasant et l’obéissance aveugle imposés par les parents et souvent si peu justifiés, contribuent à réaliser une véritable production artificielle de futurs névropathes et d’impuissants psychosexuels.

En conclusion, ma conception de l’impuissance masculine fonctionnelle est la suivante :

1° L’impuissance psycho-sexuelle est un symptôme partiel d’une psychonévrose en accord avec la thèse de Freud, à savoir, qu’il s’agit toujours de la manifestation symbolique du souvenir d’événements sexuels vécus dans la première enfance puis refoulés dans l’inconscient, du désir inconscient visant à leur répétition, et du conflit psychique qui en résulte.

2° Dans le cas d’impuissance sexuelle ces souvenirs et désirs se rapportent à des personnes ou à des représentations de modes de satisfaction sexuelle incompatibles avec la conscience de l’adulte civilisé. L’inhibition sexuelle est donc un interdit venant de l’inconscient, qui à l’origine ne visait qu’un certain mode de satisfaction sexuelle, mais qui, pour empêcher plus sûrement le retour associatif du souvenir ou du désir, s’est étendue à toute l’activité sexuelle en général.

3° Les événements sexuels de la petite enfance qui détermineront ultérieurement l’inhibition, peuvent être des traumatismes psychologiques graves : mais lorsque la prédisposition à la névrose est plus marquée, des impressions apparemment bénignes et inévitables dans nos conditions de vie peuvent entraîner les mêmes conséquences.

4° Parmi les causes pathogènes déterminant l’impuissance psycho-sexuelle, la fixation incestueuse et l’humiliation sexuelle infantile occupent une place privilégiée.

5° L’action inhibitrice du complexe refoulé peut se manifester dès la première tentative sexuelle et devenir permanente. Dans les cas plus bénins, l’inhibition n’apparaît que plus tard, à l’occasion d’un acte accompagné d’une appréhension ou d’une excitation particulièrement intense. Même dans ces cas, une analyse suffisamment poussée montre qu’à côté (ou plus exactement derrière) la cause déprimante actuelle se dissimulent, comme dans les cas graves, des souvenirs sexuels infantiles refoulés et les fantasmes inconscients qui s’y rattachent.

6° La compréhension intégrale des cas d’impuissance psychosexuelle n’est possible qu’à l’aide de la psychanalyse selon Freud. Dans les cas plus graves, il est difficile d’obtenir une amélioration par un autre moyen ; dans les cas plus bénins, les méthodes suggestives ou une analyse superficielle peuvent également donner des résultats.

7° La psychonévrose dont l’impuissance fonctionnelle est un symptôme partiel est généralement compliquée par les symptômes d’une névrose actuelle (neurasthénie, névrose d’angoisse).

Naturellement toutes ces observations et interprétations ne sont valables que dans les cas d’impuissance d’origine exclusivement psychogène, et non dans les cas d’incapacité physiologique ou organique ; cependant, l’association d’états morbides organiques et fonctionnels est ici encore un phénomène fréquent.


1 Conférence prononcée le 7 novembre 1908 à la Société Royale de Médecine de Budapest.

2 Ferenczi : De la pharmacologie neurologique, « Gyógyàszat », 1906.

3 Ferenczi : De la valeur thérapeutique de l’hypnose, « Gyógyàszat », 1904.

4 Mes sources dans la littérature sont : l’ensemble de l’œuvre de Freud, ainsi que les ouvrages suivants de deux médecins viennois :

— Dr Steiner : Die funktionelle Impotenz des Mannes (L’impuissance masculine fonctionnelle), Wiener Med. Presse, 1907, 42ème part.

— Dr Steckel : Nervöse Angstzustände (Les états nerveux d’angoisse), Wien, Braunmüller, 1908. (Trad. franç. Payot, Paris, épuisé).

5 En français dans le texte.

6 Ferenczi : Des stades intermédiaires de la sexualité, « Gyógyàszat, 1909 ».

7 « Je hais puisque je ne puis aimer ».

8 Ferenczi : Pédagogie sexuelle, Revue médicale de Budapest, 1908.