Nouvelles remarques sur l’homosexualité

Ce qui va suivre est valable pour les deux homosexuels que je traite actuellement (C., homosexuel avec des inhibitions et des tentatives hétérosexuelles, T., pratiquement sans inhibitions, sinon quelques scrupules religieux/Enfer/) :

Les homosexuels aiment la femme trop fort (intensité terrifiante, la plupart du temps, coloration sadique de l’amour, fantasmes pervers). Ils en reculent de terreur. Refoulement. Retour du refoulé sous la forme d’homosexualité, qui dans l’ICS signifie toujours les vieux fantasmes insupportablement violents (fixés sur la mère ou sur la sœur). Ils idéalisent la femme (les femmes qui ont des relations sexuelles sont pour eux des putains), et en même temps fantasment inconsciemment ce qui suit :

I. Je (l’homosexuel) suis la mère (putain) qui a besoin chaque fois d’un autre homme (concordance complète dans les deux cas à cet égard) ; l’homme avec qui j’ai des rapports, c’est moi-même. (C’est aussi pour cette raison que l’homosexuel n’est jamais tout à fait satisfait, d’autant que le jeune homme n’est jamais suffisamment identique à lui-même.) Les deux patients recherchent seulement de très jeunes hommes. Le non-inhibé aspire tout à fait consciemment à un garçon en costume de marin, tel qu’il en a porté lui-même. (D’autres homosexuels /les plus passifs/ préfèrent les hommes plus âgés, portant barbe ; fantasme : « Je suis la mère, il est le père. »)

Un des patients (T., le non-inhibé) aime à rester dans l’obscurité, en ce qui concerne les organes génitaux du jeune homme. Il ne fait jamais rien avec les organes génitaux du jeune homme, il aime que celui-ci porte des caleçons de bain courts, qui cachent les organes génitaux, et il frotte son membre contre ses cuisses. Le plus souvent il se contente de baisers.

L’insouciance, la légèreté d’esprit de ce T. (son père occupe un des postes les plus élevés dans la police d’État ! Lui-même est lieutenant de gendarmerie) signifie :

1. Faire perdre sa position au père (inconsciemment, il veut dire sa position dans la famille) ;

2. Descendre lui-même =

a) mettre bas (niederkommen), enfanter (en hongrois aussi, megesni = déchoir) ;

b) devenir un voyou, un assassin, un bandit (tuer le père).

Il aspire par exemple à un jeune et bel apache (apa = père en hongrois), c’est-à-dire voudrait en être un lui-même (parricide).

II. Le patient inhibé (C.) fait de véritables progrès. À côté du fantasme déjà décrit (dans l’inconscient il est : lui-même ou le père ; — l’homme avec lequel il a des rapports ; la mère/dos = poitrine, omoplates = seins, anus = vagin/) les fantasmes suivants ont été inconsciemment produits (c’est certain !) :

1. Il est la mère (putain), le jeune homme c’est lui-même (tout à fait comme chez T.) ;

2. La moitié gauche de son corps est celle qui ressemble à la mère, la droite est masculine, lui-même. Elles ont un coït l’une avec l’autre. Le père est mort, assassiné. (Dans l’inconscient, tantôt lui-même tantôt la mère figurent comme le coupable.) Dans son désir intense d’épargner la mort au père, il se fait parfois (la moitié droite) le père, de sorte que le père et la mère aient un coït ; il est « entre » les deux et embrasse alternativement mère et père (toujours d’abord la mère puis, pour le consoler, le père). Il apporte toutes ces choses dans le transfert.

a) Se met à la place du père et m’assassine cent fois par jour.

b) Se met à ma place et me fait avoir un coït avec ma mère, ou :

c) M’identifie avec lui-même et lui avec la mère et se fait faire un coït à travers moi.

À la place de l’érection (le pénis reste flasque), il raidit une jambe pendant qu’il tient ces propos. En même temps, il a très souvent des crampes ou une raideur de la nuque.

La signification des deux moitiés de corps se trahit toujours par des sensations passagères affectant cette partie du corps, qui durent jusqu’à ce qu’il (ou le plus souvent moi) trouve la solution juste.

Comme singularité fondamentale de l’homosexualité, je considère l’inversion qui, dans la névrose comme dans le rêve, signifie de l’ironie, de la dérision et une sorte de révolte cachée contre le mensonge. L’origine de ce mode de représentation, je la trouve dans l’infantile. Lorsque l’enfant veut représenter le doute ou la dérision devant rester incompréhensible pour les adultes (en rapport avec les parents par exemple), alors il le fait :

1. par l’exagération du contraire (par exemple une acceptation exagérée d’une affirmation du père qui lui paraît incroyable) ;

2. par l’inversion, à savoir :

a) inversion d’un ou de plusieurs mots (en fonction des phonèmes),

b) inversion d’une relation (par exemple « l’agneau dévore le loup »).

Cette formule, je la dois à mon petit neveu de 5 ans dont je m’occupe beaucoup. Lui et ses parents ont déménagé récemment d’une ville de province à Budapest ; il est très intelligent, mais sa stupide bonne lui a inculqué un tas d’idées superstitieuses et angoissantes dont je le libère peu à peu. Par exemple, elle lui a fait peur avec des animaux sauvages. Ceux-ci l’ont torturé ces derniers temps même dans ses rêves (la tendance à l’angoisse est déterminée, comme chez le petit Hans, par la crainte du père). Je voulais l’apaiser et je lui racontai que le lion a peur des hommes ; c’est seulement quand on l’attaque qu’il devient sauvage. « N’est-ce pas, oncle Sàndor, le loup a peur de l’agneau, l’agneau peut aussi dévorer le loup. » On attribue en général ce genre de déclarations à la sottise des enfants. Cependant, je me rendis compte de sa subtilité et je lui dis qu’il ne voulait pas me croire quand je disais que le lion avait peur des hommes. Il devint tout rouge, m’embrassa et dit : « Mais, oncle Sàndor, il ne faut pas m’en vouloir pour ça ! »

Cette sorte de langage secret des enfants, par lequel ils peuvent peut-être se comprendre entre eux, mais qui peut-être n’a été créé que pour leur propre usage, pour décharger la tension interne réprimée (le besoin impérieux de vérité), devrait être étudié à fond. Il apporterait peut-être l’explication de mainte singularité des névroses.

Mon patient C. apporte des choses tout à fait analogues dans les idées qui lui viennent. Il lui vient des mots, des dates inversés ; des situations et des images inversées, absurdes : ils signifient toujours moquerie, dérision et incrédulité (concernant le père, la mère, moi, l’analyse, etc.). Je pourrais en donner cent exemples.

Il m’apporte par ce type de réaction (voir l’expérience ci-dessus avec les enfants) de nouveau un des « fondements ultimes » de l’homosexualité.

L’homosexualité est une inversion globale (en masse)1. La reconnaissance du mensonge sexuel chez eux-mêmes et chez les adultes, les enfants ne peuvent pas la refouler sans formation substitutive, et certains choisissent pour la représentation (devenant peu à peu inconsciente) de leurs sentiments la même formule que celle que l’enfant utilise aussi par ailleurs pour la représentation de la non-vérité : l’inversion. Mais l’inversion de la libido n’a lieu le plus souvent qu’à la puberté, quand les désirs sexuels sont organiquement renforcés, donc inhibés et transposés dans l’infantile. (L’« homosexualité originelle » doit naturellement être préfigurée ; je veux dire : une telle inversion doit avoir eu vraiment lieu une fois dans l’enfance, si le refoulement ultérieur doit conduire à l'homosexualité/une forme de psychonévrose/.)

L’inversion dans l’homosexuel signifie — traduit en logique — à peu près ce qui suit :

« Que les parents soient comme-il-faut et pudiques, c’est tout aussi vrai que moi je suis la mère et que la mère c’est le fils. »

Chez mon patient C. /qui, quand il s’identifiait à la mère parlait allemand/ l’idée venait souvent : « Je suis toi et tu es moi. » Il ajoutait la comptine enfantine :

 Ich und du, Moi et toi,

       Müllers Kuh, Vache du meunier.

     Müllers Esel, Âne du meunier,

Das bist du ! C’est toi !

Cette comptine, il l’avait apprise de sa mère ; la mère avait l’habitude de la réciter, pendant qu’à chaque syllabe elle désignait alternativement elle-même et lui. La plaisanterie consiste à calculer de façon qu’à la dernière syllabe, toi, c’est l’adversaire qui soit désigné.

Ou : « Bon, ce n’est pas vrai que je peux dormir auprès de la mère à la place du père et faire avec elle ces choses, et que je peux écarter le père — mais alors je suis la mère et la mère est le fils » (c’est-à-dire : ce n’est pas vrai !).

Lors de la révolution sexuelle ultérieure (puberté), cette formation infantile s’avère excellente au cours de la poussée de refoulement. Le garçon devenant pubère prend peur de ses propres tendances sexuelles (qui continuent à se diriger sur les parents) et les refoule. À la place, il devient un homosexuel (si les conditions préalables, provenant de l’enfance, sont présentes). L’homosexualité contient, en une inversion absolue, toute la vérité.

Sadger a le mérite d’avoir constaté que la mère, chez les homosexuels, joue le rôle principal. Il a permis ainsi de comprendre que l’homosexualité est une psychonévrose et, comme telle, a pour fondement le complexe nucléaire névrotique. Cependant, cela n’explique pas l’essence de l’homosexualité, car ce complexe, nous le savons bien, existe chez tout névrosé (et chez tout individu sain). L’étude détaillée de la structure peut seule nous aider à montrer les voies par lesquelles telle ou telle névrose se construit sur le complexe nucléaire. Reste alors la question du choix de la névrose, mais la structure peut donner quelques renseignements sur cette question aussi.

Conscient

Les hommes, le père, surestimés

Femmes, mère, haïes

Femmes idéalisées

 

J’aime les jeunes hommes

 

 

J’ai un coït avec un homme par-derrière

Inconscient

Père assassiné

Mère aimée

Toutes les femmes sont des putains, même ma mère

Le jeune homme = Moi

Moi = mère

J’ai un coït avec ma mère

J’ai un coït avec une femme par-devant

L’homosexualité est une névrose étroitement apparentée à l’impuissance ; les deux ont en commun la fuite devant la femme. L’impuissant réprime le réflexe génital. C’est peut-être quelque complaisance corporelle qui le lui permet. Il est remarquablement fréquent que l’impuissance soit un problème familial : trois ou quatre hommes d’une même famille (frères). L’homosexuel ne sait pas aussi bien réprimer, il transpose la sexualité consciemment sur l’homme, mais dans l’inconscient il reste fidèle à l’autre sexe.

L’impuissance comme l’homosexualité ne guérissent que si le malade en souffre.

Je ne crois pas à l’homosexualité innée. J’admets tout au plus un penchant (constitution sexuelle) dans la mesure où nous devons aussi l’admettre pour expliquer l’hystérie, par exemple. Les événements font qu’un homme avec une constitution sexuelle donnée (« vicissitudes de la libido ») deviendra hystérique ou homosexuel. La constitution sexuelle est quelque chose de virtuel ; il faut d’abord que la névrose pour raisons sexuelles existe, pour qu’elle puisse déployer sa force orientatrice. Elle n’est nullement la seule force orientatrice de ce genre ; des éléments exogènes peuvent aussi influencer l’orientation (choix de la névrose). Un être qui a une constitution hystérique ou homosexuelle ne doit donc pas nécessairement devenir hystérique ou homosexuel.

La théorie du « troisième sexe » a été inventée par les homosexuels eux-mêmes : c’est une résistance sous forme scientifique.

L’homosexualité au sens des uranistes (troisième sexe) n’existe pas dans le règne animal (je ne parle pas de l’hermaphroditisme). L’attrait des contraires attire le mâle vers la femelle plus que vers un autre mâle. Des chiens mâles jouent aussi l’un avec l’autre (ainsi que les singes). Il existe donc sûrement une certaine libido entre animaux du même sexe. Cependant, ce petit jeu ne peut être comparé au sérieux de la pulsion d’amour hétérosexuelle.

Je suis convaincu que chez l’homme il n’en est pas non plus autrement, et que partout où apparaît une homosexualité excessive la responsabilité en incombe au refoulement de l’hétérosexualité ; probablement même au refoulement d’une hétérosexualité trop forte (insupportable pour le Moi), qui continue à vivre, non atténuée, dans l’inconscient et se vit jusqu’à son paroxysme (et se donne libre cours) sous le masque homosexuel.


1 En français dans le texte. (N. d. T.)