Notes sur la théorie des pulsions de vie et des pulsions de mort

Une ère nouvelle s’ouvrait pour la psychologie, lorsque Breuer et Freud1 découvrirent que les symptômes hystériques d’une de leurs patientes provenaient de conflits intrapsychiques non résolus. Poursuivant les observations réalisées sur ce cas particulier, Freud continua à étudier la vie émotionnelle de ses patients, et ses recherches sur la nature du conflit l’amenèrent à la découverte de l’inconscient. À partir de là, il poursuivit l’exploration de la dynamique et de la structure du psychisme, et l’élaboration de ses théories sur la maladie et le développement psychiques. On pourrait donc considérer l’investigation systématique du conflit émotionnel – jusqu’alors en dehors de la sphère de la science médicale – comme la naissance de la psychanalyse.

Freud a réduit les conflits émotionnels à l’action de forces fondamentales de fins opposées, c’est-à-dire de pulsions antagoniques. Tout au long de ses recherches, il a maintenu cette approche dualiste des processus psychologiques, et insisté sur la nécessité de comprendre la nature des pulsions. Au début, acceptant le contraste généralement admis entre la faim et l’amour, il vit ces forces pulsionnelles en opposition dans les pulsions d’autoconservation, d’une part, et les pulsions sexuelles de l’autre. Plus tard, il établit la différence entre les pulsions du moi et les pulsions sexuelles, et pensa que ce dualisme s’accordait avec le double rôle de l’être humain comme individu et comme représentant de l’espèce. Mais les progrès de ses recherches ne confirmèrent point cette distinction, et, en dernière analyse, il arriva à la conclusion que les premiers moteurs du comportement humain étaient une pulsion de vie et une pulsion de mort.

Il est intéressant de voir comment Freud lui-même a hésité à accorder une pleine adhésion, et, pourrait-on dire, un statut de plein droit à sa dernière découverte sur les pulsions, et comment il a pourtant été amené, par sa vérité inéluctable, à maintenir cette notion d’une antithèse aussi définitive et fondamentale que l’antithèse entre une pulsion primitive de vie et une pulsion primitive de mort. Il a fait remarquer la nature hypothétique de sa théorie, n’a jamais considéré son acceptation comme un signe distinctif des psychanalystes et n’a professé à son égard qu’une « tiédeur bienveillante ». Cependant, ses travaux contiennent des passages comme le suivant, qui montrent clairement sa conviction au sujet de sa théorie : « Ce sont les [instincts] vitaux au sens propre du mot, du fait qu’ils fonctionnent à l’encontre de la tendance des autres [instincts], qui, à travers la fonction, acheminent l’organisme vers la mort, ils se mettent avec ceux-ci dans un état d’opposition dont la psychanalyse a de bonne heure saisi l’importance et la signification »2.

Freud a expliqué une fois l’hostilité qui a reçu ses découvertes par le fait qu’elles blessaient le narcissisme humain, comme celles de Copernic et de Darwin3. Copernic a détruit la chère croyance que la terre de l’homme était le centre de l’univers (c’est « l’offense cosmologique » au narcissisme) ; c’est de Darwin qui est venu l’« offense biologique », quand il a montré que l’homme n’a pas une position privilégiée dans l’échelle des créatures ; et la psychanalyse a causé « l’offense psychologique » en découvrant que l’homme n’est pas maître de son propre monde intérieur, puisqu’il existe des processus psychiques inconscients au-delà de son contrôle.

Je dirais que la théorie de Freud sur les pulsions de mort a beaucoup intensifié cette offense psychologique. Le ressentiment et l’angoisse suscités par l’obstacle opposé au narcissisme humain doivent être encore plus grands, lorsque à la douleur de la blessure s’ajoute la peur de voir que les forces de mort agissent dans l’homme lui-même4.

La théorie des pulsions de mort a provoqué bien des froncements de sourcils et bien des discussions. Un argument contre elle dénie la légitimité de son origine dans des considérations psychologiques et affirme que Freud est arrivé à elle exclusivement par la voie de spéculations et d’imaginations sur les faits biologiques. En fait, il n’en est pas ainsi. Dans Au-delà du principe du plaisir Freud part clairement du matériel clinique, c’est-à-dire des rêves des patients, souffrant de névroses traumatiques qui, en contradiction avec la fonction onirique de réaliser des désirs, répètent l’événement traumatique pénible ; et aussi du jeu des enfants, qui répète en action une expérience pénible, inlassablement. Il est bien vrai que Freud interrompit l’examen de ces deux phénomènes, mais il ne le fait qu’après avoir montré l’élément de répétition, qui est le point essentiel. Il continue en observant que les patients en traitement psychanalytique, au lieu de se rappeler les événements refoulés, les répètent dans leur vie courante, en se causant à eux-mêmes beaucoup de souffrance. C’est à partir d’observations cliniques qu’il arrive à déduire l’existence d’une « compulsion à la répétition », concept dont la validité dans le travail psychologique a été éprouvée depuis lors et il montre que cette compulsion est universelle et qu’elle n’est pas régie par le principe du plaisir.

Le fait est donc que Freud est parti d’observations cliniques quand il s’est embarqué dans la voie qui l’a amené à établir la pulsion de mort, et que, chemin faisant, il a découvert un principe psychologique d’une extrême importance : la compulsion à la répétition. En outre, il est resté tout au long du chemin en contact avec les faits cliniques5.

Ses spéculations biologiques suggèrent que, lorsque, dans un événement qui « déjoue toute conjecture », la vie s’est créée à partir de l’inorganique, la tendance à revenir vers la condition originaire est née avec elle. Parallèlement à la pulsion de vie, la pulsion de mort a commencé à agir dans l’être animé. Nous pouvons laisser aux biologistes le soin de juger de la valeur des considérations biologiques de Freud, mais nous avons le droit d’utiliser la partie psychologique de la théorie – de l’utiliser sans prétendre qu’elle résout tous les mystères de la vie humaine.

Le travail psychologique ne révèle pas directement l’action de la pulsion. Ce que nous voyons, ce sont les pulsions en tant qu’elles donnent naissance aux émotions, aux espoirs, aux craintes, aux conflits, aux comportements et aux actes. Nous observons des processus comme la transformation d’un désir inconscient en une crainte consciente, ou d’une haine inconsciente en une exagération de l’amour conscient.

Distinguons donc les motions pulsionnelles, comme entités cliniquement observables, et les pulsions comme les forces ultimes desquelles naissent les motions pulsionnelles. La pulsion est donc un concept, une abstraction, qui s’accorde avec un certain type d’approche en psychologie. Nous ne pouvons ni le prouver ni l’infirmer par l’observation directe. Tout ce que nous pouvons faire c’est présenter une interprétation des faits que nous observons. Cette interprétation impliquera une spéculation qui, naturellement est sujette au doute. Mais la science ne peut progresser par la simple collection de matériel observable. Si nous ne laissons jamais le terrain des faits, nous abandonnons le procès constitutif de la science, qui arrive au moyen de l’abstraction et de l’induction – de la spéculation – à la découverte des principes dont les faits observables sont la manifestation. Un psychologue non analyste6 a dit : « La science étend le domaine de l’évidence au-delà de ce qui est accessible au sens commun. » Le travailleur scientifique doit combiner l’observation froide et l’interprétation imaginative. Il y a des pièges. L’imagination peut égarer si elle s’écarte trop des faits observés, mais ces écarts d’imagination ne sont pas plus stériles que la notation mécanique des faits, sans travail imaginatif sur les données obtenues7.

On a dit que la théorie des pulsions de Freud dépasse la psychologie pour tomber dans la physiologie et dans la biologie – mais c’est ce que fait l’objet même de la psychologie, l’être humain. Psychologues, psychiatres, psychanalystes – aucun d’entre nous n’a affaire à un psychisme isolé. Nous voyons chaque jour l’extension des forces psychiques dans la sphère physique par des processus comme celui des symptômes de conversion et des troubles psychosomatiques (et vice versa, l’effet des processus physiques sur l’état psychologique d’une personne) et nous ne pouvons exclure de notre travail toute considération physiologique et biologique.

L’étude du comportement humain nous oblige à reconnaître une double source de forces dans les profondeurs de la personnalité. En plus, nos observations nous montrent qu’il n’y a pas de clivage net entre le psychisme et le corps. Cela nous oblige à introduire un facteur physique dans notre conception de la source double et fondamentale. Ces exigences sont remplies par la conception de Freud de pulsions primaires poursuivant les fins opposées de la vie et de la mort.

Selon la théorie de Freud, les deux pulsions fondamentales sont toujours fusionnées l’une avec l’autre. La nature de cette fusion et la nature des événements qui altèrent les proportions des deux pulsions ou l’influence de chacune doivent être de la plus grande importance, mais notre connaissance ne nous mène pas encore jusque-là. Il pourrait bien se faire que ce soit le caractère de ce mélange pulsionnel qui décide si une attitude ou une activité est saine ou morbide.

Quoique fusionnées, les deux pulsions luttent l’une contre l’autre à l’intérieur de l’organisme. La pulsion de vie tend à l’union et entraîne l’individu vers les autres, la pulsion de mort tend à briser l’organisme et l’union entre les organismes individuels, ou à empêcher cette union de se former. Le développement de l’organisme unicellulaire en organisme multicellulaire, avec sa différenciation croissante liée à la formation d’organes doués de fonctions spécialisées, serait l’œuvre de la pulsion de vie ; mais en même temps ce développement constitue autant de cibles pour la pulsion de mort, puisque toute étape vers l’union comporte une désintégration potentielle.

La théorie des deux pulsions fondamentales a mené à une nouvelle classification. Les pulsions sexuelles et les pulsions d’autoconservation sont toutes deux considérées maintenant comme des représentants de la pulsion de vie. L’idée antérieure, que les deux buts de la vie humaine sont en conflit, a été corrigée. En essence, ils sont complémentaires. Normalement, le sentiment qu’une personne a d’être vivante est intensifié au suprême degré dans l’acte de procréation, et l’accomplissement de l’individu coïncide avec celui de l’espèce. La recherche psychanalytique a montré que là où il y a des conflits entre les deux buts, ils surgissent de perturbations dans le développement de l’individu, mais ne peuvent être attribués à une antithèse inhérente aux buts eux-mêmes.

L’expression psychologique de la pulsion de vie se trouve dans l’amour, dans les tendances constructives, dans le comportement de coopération, toutes choses qui surgissent essentiellement du désir d’union ; l’expression poétique « Éros, la force qui lie », est souvent citée dans la littérature psychanalytique. La pulsion de mort s’exprime dans la haine, la destructivité, et les tendances négatives, en un mot dans tous les modes de comportement qui s’opposent à l’établissement ou au maintien des liens sur le plan intrapsychique aussi bien que sur le plan social.

Freud a dit que la technique essentielle de la pulsion de vie dans sa lutte contre la pulsion de mort est la déflection de celle-ci vers l’extérieur. Il considérait ce mécanisme comme l’origine de la projection et pensait que la pulsion de mort est « muette » quand elle opère à l’intérieur de l’organisme et ne devient manifeste que dans son action ultérieure à la déflection.

C’est cependant un problème de savoir si la pulsion de mort est si « muette » quand elle attaque la personne. Les occasions ne manquent pas de voir des comportements autodestructeurs, depuis les simples bévues que les gens commettent évidemment contre leurs propres intérêts, jusqu’au préjudice sérieux qu’on se porte à soi-même (« la tendance aux accidents »), au comportement grossièrement masochiste et au suicide. En outre, l’existence de la maladie et de la détérioration physiques, aussi bien que des difficultés dans la guérison, devrait être attribuée à l’action de la pulsion de mort qui va dans le même sens que les agents extérieurs nocifs et facilite leur influence.

Le problème de la projection des forces intérieures dangereuses n’est pas simple non plus. Ce ne sont pas seulement les pulsions destructrices qui sont projetées par un processus qui soulage la personne de la douleur de sentir des pulsions dangereuses s’agitant furieusement à l’intérieur d’elle-même. Des pulsions et des traits de bonté et d’amour sont projetés eux aussi8, et cette projection se révélera bienfaisante ou dangereuse selon le caractère de l’objet choisi pour la réaliser, et selon les relations ultérieures avec cet objet. Le danger de la projection réside dans l’obscurcissement de la réalité car elle mène souvent à de graves délires. Projeter des pulsions d’amour « bonnes » sur un objet « mauvais », et le rendre « bon » de ce fait peut n’être pas moins nuisible que de projeter des pulsions destructrices « mauvaises », sur un objet aimé, et de le perdre ainsi. D’autre part, la projection de pulsions bonnes se révélera favorable si elle renforce l’attachement du sujet à un objet bienveillant et si elle lui permet d’introjecter la bonté de l’objet. (Ce type d’introjection implique que le sujet reçoive en retour ce qui fait originairement partie de son propre moi.)

L’affirmation que l’amour représente la pulsion de vie et la haine la pulsion de mort appelle quelques précisions. Dans le sadomasochisme, l’amour est intimement lié au désir d’infliger et de souffrir de la douleur, tendances qui dérivent de la pulsion de mort. Cependant ces phénomènes ne mettent pas en question la théorie des pulsions primaires. Ils prouvent seulement l’existence de leur fusion, qui fait partie de la théorie. La même idée vaut pour la haine, si elle est dirigée contre un agresseur, et même pour le meurtre d’une autre personne dans le cas de légitime défense. Le comportement destructif au service de la conservation personnelle indique que la fusion entre les pulsions de base penche en faveur de la pulsion de vie. Cette interprétation est confirmée par le fait que, quand la défense personnelle en est le motif prédominant, l’agression n’est pas délibérément cruelle.

Ces exemples nous avertissent en outre contre toute tentative de simplifier exagérément ce sujet. Nous ne pouvons pas relier directement un événement appartenant à un niveau d’expérience hautement complexe à une pulsion de base. Sur le chemin qui mène d’un degré ultérieur de développement à un degré antérieur se trouvent de multiples vicissitudes de la finalité pulsionnelle primaire, précisément à cause de l’influence exercée par la pulsion antithétique et de l’interaction entre les pulsions de base.

Il y a cependant certains faits qui laissent penser que la fusion originaire des pulsions est capable de modifications telles qu’elles permettent à chacune des deux pulsions de base d’opérer presque sans mélange. Une sorte de défusion semble alors se produire, où l’une des pulsions règne absolument. Je pense à des exemples d’extrême sacrifice de soi ou d’extrême dévouement (sans le bénéfice d’un plaisir masochiste) d’un côté ; et de cruauté aveugle et excessive, de l’autre.

Je voudrais examiner seulement les seconds, puisqu’on n’a pas l’habitude de considérer les premiers comme un problème psychologique à discuter.

Il n’est pas nécessaire de donner des exemples. De temps en temps le monde est révolté par des récits de meurtres d’une cruauté sauvage, « bestiale », commis par un individu ou par un groupe. La cruauté excessive est commise sans provocation, ou, s’il y en a eu une, elle excède clairement ce qui pourrait être considéré comme une réponse nécessaire ou utile. En outre, dans ces cas, les actes cruels sont calculés et élaborés dans le détail de telle façon que seul un besoin pulsionnel de cruauté sauvage peut en être considéré comme le mobile et le but. Le meurtrier a besoin d’une victime pour satisfaire sa nécessité d’infliger à quelqu’un le maximum de douleur, et il agit évidemment sans la moindre inhibition provenant de la sympathie, de la culpabilité ou de l’horreur de ce qu’il est en train de faire.

Il est assez curieux qu’un tel comportement soit en général considéré comme causé par une sexualité perverse, et qu’on appelle souvent ces crimes des « crimes sexuels ». Il est vrai que le sadisme est une forme de perversion sexuelle, mais il faut distinguer les pratiques sexuelles où le sadisme (et le masochisme) ont quelque participation, et les agressions violentes où la cruauté est le trait prédominant. Au sens strict du terme, la perversion sexuelle doit désigner des rapports physiques intimes entre adultes dans lesquels le plaisir préliminaire l’emporte sur le plaisir final, dans lesquels les activités orales et excrétoires, les buts voyeuristes et exhibitionnistes, l’emportent sur le besoin d’un rapport hétérosexuel, et aussi ceux dans lesquels le plaisir corporel est dérivé du contact avec une personne du même sexe. Freud a montré que cette sexualité perverse (qui contient en général quelques éléments sadiques et masochistes) est due à la persistance de la sexualité infantile et représente certains des moyens qu’a l’enfant de ressentir la gratification sexuelle.

La victime assassinée dans le soi-disant crime sexuel ne meurt pas d’une expérience sexuelle, quelque infantile qu’elle soit, mais de l’exercice de la violence la plus cruelle. L’aspect sexuel du comportement du meurtrier est peut-être introduit pour tromper la victime et pour fournir ainsi une occasion de se réaliser au besoin de cruauté. Il se peut que le meurtrier commence dans un état d’excitation sexuelle qui cependant cède bientôt et ne sert qu’à ouvrir les portes au flot des pulsions violentes et destructrices. Il semble que ceux qui ont étudié ces crimes soient conscients du fait que seul le pouvoir élémentaire d’une pulsion peut être leur cause, mais qu’ils ne puissent concéder à autre chose qu’à la sexualité les caractéristiques de cette force pulsionnelle. Je dirais que la théorie de Freud sur les deux pulsions de base en lutte l’une avec l’autre et sur la déflection vers l’extérieur de la pulsion de mort par la pulsion de vie nous donne une idée des forces en question. Je pense pouvoir supposer avec raison que, dans des cas de cruauté aveugle, il se produit une sorte de désastre pulsionnel, que pour quelque motif la fusion entre les deux pulsions de base se brise, et que la pulsion de mort s’éveille à l’intérieur de la personne à un degré extrême, sans pouvoir être adoucie par la pulsion de vie. La défense de celle-ci doit donc être la plus primitive, c’est-à-dire la déflection brutale sur une victime du danger intérieur d’une souffrance et d’une mort cruelles. Je ne pense pas que le meurtrier ait quelque expérience consciente de la menace de sa propre catastrophe intérieure, ou qu’il agisse en un état de panique consciente, mais que ses actes ne peuvent être compris qu’en supposant qu’il est saisi d’un besoin frénétique de trouver une victime — comme substitut de lui-même. Seule cette hypothèse me semble expliquer l’absence complète de toute sympathie pour la souffrance de la victime, le besoin d’une sauvagerie aussi minutieuse que possible dans l’acte de tuer, et de la satisfaction qu’il obtient (et qu’on croit, par erreur, de nature sexuelle) dans l’agonie de la victime. Du fait de quelque processus au niveau le plus profond, semblable à ce que j’appelle catastrophe pulsionnelle en l’absence d’une connaissance plus sûre, le meurtrier doit sentir la fureur de la force de mort à l’intérieur de lui-même à un degré d’intensité tel que seule la déflection vers l’extérieur peut l’en délivrer, parce que cette force n’est plus contrôlée par la pulsion de vie.

La théorie de Freud sur les pulsions de vie et de mort comme source ultime de motivations constitue un système coordinateur extrêmement compréhensif pour nos observations cliniques, qui indiquent clairement que les émotions et la conduite résultent de l’impact de deux forces opposées. Le problème si discuté de l’origine de l’angoisse apparaît maintenant, lui aussi, de façon plus claire.

En gros, il y a trois théories sur l’origine de l’angoisse. La première est la théorie originaire de Freud qui considère l’angoisse comme le résultat d’une « transformation automatique » des pulsions libidinales refoulées. Quand un but libidinal est refoulé, l’angoisse apparaît à sa place. Bien que Freud ait plus tard9 précisé cette affirmation, qu’il ait fait remarquer que l’angoisse précède souvent le refoulement, et que même il ait parfois semblé rejeter cette théorie, il ne l’a jamais abandonnée en fait. Elle réapparaît fréquemment dans ses œuvres.

La seconde théorie a été avancée par Ernest Jones10, qui s’est demandé au départ ce qui rend l’être humain capable de sentir de la peur. Il est arrivé à la conclusion qu’il y a une « capacité innée » d’avoir peur qu’il a nommée l’« instinct de peur ».

Mélanie Klein11 a formulé la troisième théorie : l’angoisse provient en ligne directe des pulsions destructrices ; le danger pour l’organisme produit par la pulsion de mort, source des pulsions destructrices, est la cause première de l’angoisse. Le facteur libidinal est cependant compris dans sa théorie, en ce que la frustration libidinale augmente ou libère l’angoisse en accentuant l’agressivité, alors que la gratification libidinale diminue l’angoisse ou la tient en lisière. Donc, pratiquement, c’est le degré de fusion entre les pulsions primaires et l’interaction entre elles qui sont responsables de l’angoisse.

Je crois qu’il est possible de définir cette interaction et de décrire la participation de chacune des deux pulsions dans la production de l’angoisse. On verrait alors que ces trois théories, qui semblent s’opposer si fort entre elles, peuvent se concilier.

On ne peut douter que la capacité d’avoir peur est innée comme celle d’aimer ou de haïr. Elle fait partie de l’équipement psychologique de l’individu. L’angoisse peut être considérée comme l’état où la capacité d’avoir peur passe à l’acte. On la ressent subjectivement comme un état de tension pénible qui force l’individu à prendre des mesures pour l’éloigner, et ces mesures impliquent des défenses contre le danger. De cette façon l’angoisse a une fonction de protection12 et doit être classée avec les pulsions d’autoconservation. Cela voudrait dire que c’est à la pulsion de vie qu’on devrait attribuer la capacité innée d’avoir peur, de même qu’on devrait lui attribuer l’activation de cette capacité dans l’expérience de l’angoisse.

D’autre part, le danger contre lequel la pulsion de vie institue et mobilise la capacité d’avoir peur a son origine dans l’action de la pulsion de mort, dont les buts s’opposent à la vie et à la santé13.

Le danger qui surgit originairement à l’intérieur de l’organisme constitue le stimulus de la capacité innée qu’a l’être humain d’avoir peur. Ce patron de réaction peut être considéré comme la disposition intrapsychique à reconnaître les dangers extérieurs et à utiliser contre eux des défenses apprises originairement pour répondre au danger intérieur.

Ces considérations font évidemment un plein usage de la théorie de Mélanie Klein, et du concept de Jones d’une « capacité innée d’avoir peur », mais elles évitent de compliquer la théorie des pulsions de base par l’hypothèse d’une troisième pulsion primaire.

En ce qui concerne la théorie originaire de Freud d’une « transformation automatique » de la libido refoulée, je dirais qu’on doit tenir compte de deux facteurs. D’abord que la notion d’un processus « automatique » dans la production de l’angoisse implique un élément pulsionnel, un événement au niveau de la pulsion. Ensuite, que nous devons tenir compte de la force qui est responsable de l’inhibition d’une pulsion libidinale. Comme on sait, l’inhibition d’un désir libidinal peut conduire à une gratification substitutive, par exemple, la sublimation, et, dans ce cas, l’angoisse n’apparaît pas et on n’arrive à aucune situation de tension pénible. Si le refoulement d’un désir libidinal mène à une situation intolérable, on peut voir dans l’analyse que des pulsions destructrices14 interviennent dans ce désir, de façon que la gratification désirée (et réprimée) aurait également permis leur expression simultanée (comme déflection à l’extérieur de la pulsion de mort). Dans ces cas, le refoulement libidinal mène à l’angoisse en réponse à la stimulation interne de la pulsion de mort. L’angoisse qui est liée à certains types de refoulement est donc la réponse à un danger qui provient de l’activité de la pulsion de mort. La notion d’une « transformation automatique » de la libido refoulée implique une lutte entre les pulsions de base, dans laquelle la pulsion de vie ne peut remporter une victoire complète (gratification libidinale ou sublimation), mais peut produire la réponse d’angoisse en face du danger.

Il peut être utile d’ajouter explicitement que je m’occupe ici de l’origine de l’angoisse au niveau le plus profond, au niveau pulsionnel, et non des processus complexes de niveaux plus élevés – qui, cependant, sont construits selon le patron de base.

On pourrait ajouter encore quelques mots sur les multiples exemples où l’angoisse échoue à produire un comportement utile de protection. On sait que l’excès d’angoisse peut paralyser une personne et aggraver ainsi le danger contre lequel l’angoisse devrait la protéger. En ce cas, la lutte entre les pulsions de base tourne en faveur de la pulsion de mort, qui est capable d’interférer la défense même, la mobilisation de la capacité d’avoir peur que la pulsion de vie avait établie. Une constellation de forces analogue rendrait compte de l’absence inadéquate d’angoisse et de comportement de protection en face du danger.

La théorie définitive de Freud sur les pulsions primaires de vie et de mort, représentées cliniquement par les pulsions d’amour, la sexualité et l’autoconservation, ou bien la destructivité et la cruauté, n’a pas encore été pleinement élaborée ni appliquée. Dans son œuvre, la théorie de la libido garde encore sa forme originaire, dans laquelle la cruauté est considérée comme « une pulsion composante » de la libido. La théorie psychanalytique a traité les deux pulsions de façon très inégale : la pulsion sexuelle est la première née, et la privilégiée, et la pulsion destructrice est la dernière venue, la demi-sœur. La première a été reconnue dès le début et dotée d’un nom, libido ; la reconnaissance de son adversaire a été beaucoup plus lente, et on ne lui a pas encore donné un nom à elle. (Le terme destrudo suggéré par Edoardo Weiss15 il y a bien des années n’a pas reçu droit de cité dans la terminologie psychanalytique.)

Un des fondements de la psychanalyse est le principe que la libido se développe anaclitiquement, c’est-à-dire, sous la dépendance des fonctions physiologiques. Bien que ce principe, découvert par Freud, soit parfaitement accepté, et que sa fécondité soit établie au-delà de toute discussion, ses implications n’ont pas été pleinement élaborées. Tous les phénomènes bien connus de l’érotisme oral, anal, musculaire, etc., ainsi que les liens libidinaux avec les objets qui satisfont les nécessités physiologiques, illustrent la liaison de la libido avec les fonctions corporelles. Les études de Mélanie Klein sur les jeunes enfants16, sa découverte des phantasmes intensément destructeurs qui sont liés aux fonctions corporelles, ont apporté les données qui mènent à la conclusion que le même principe s’applique à l’action des pulsions destructrices. À la lumière de ses innovations on peut voir que Freud en découvrant que la libido se rattache aux grandes fonctions physiologiques, a décrit plus qu’un caractère de la libido : il a formulé un cas particulier d’un principe plus large, qui définit le mode d’action de la pulsion en général, et qui repose sur le fait que l’organisme humain est une entité psychique-corporelle. Les pulsions sont la source des énergies desquelles dépendent tous les processus psychiques-corporels. Elles se situent à la limite du soma et de la psyché, comme un Janus dont un visage regarde les composantes corporelles de l’organisme, et l’autre ses composantes psychiques.

Les deux pulsions – la libido et la pulsion de destruction – visent à atteindre leur but dans les activités corporelles, tout comme, réciproquement, les fonctions psychiques dérivent de toutes deux17. Des expériences psychiques doivent accompagner l’action des pulsions dans le corps, et une relation émotionnelle doit s’établir avec l’objet qui satisfait ou frustre les activités corporelles. C’est-à-dire qu’il se forme des relations à la fois de nature libidinale et destructrice avec les objets, dès le début. Réciproquement, l’attitude de l’objet dans le contact physique implique aussi des éléments émotionnels. Il va sans dire que la mère qui allaite son enfant ne lui offre pas simplement une substance physique pas plus qu’elle n’a elle-même une simple sensation physique.

L’idée de Freud que la libido se développe « anaclitiquement » doit être élargie jusqu’à inclure aussi le développement de relations où les pulsions destructrices prédominent. La frustration des besoins physiques trace le chemin de l’hostilité objectale. La haine primitive n’est pas moins liée aux sensations corporelles que l’amour primitif. Les termes de « sadique-oral » et « sadique-anal » décrivent en fait la liaison de la cruauté avec les fonctions corporelles, quoiqu’ils aient été forgés avant qu’on découvre que la cruauté représente la pulsion de mort, et qu’elle ne fait pas partie de la libido, mais lui est fondamentalement opposée. Il est une autre affirmation de base de la théorie de la libido, qui dérive de sa liaison avec les fonctions physiologiques : celle de l’érogénéité virtuelle de tous les organes. Cela aussi doit être élargi à partir de l’œuvre de Mélanie Klein. Les organes susceptibles de produire des sensations agréables impliquant des phantasmes libidinaux sont aussi le siège des sensations qui accompagnent les pulsions instinctuelles destructrices et les phantasmes cruels18.

Toutes les activités corporelles et psychiques, étant fondées sur les pulsions primaires sont forcées de servir deux maîtres : la pulsion de vie et la pulsion de mort.

La théorie d’une pulsion de mort fait-elle avancer notre compréhension psychologique plus que ne le ferait le concept plus simple d’une pulsion de destructivité ou celui d’une agressivité innée ? On a soutenu que les spéculations liées au concept de la pulsion de mort étaient inutiles, puisqu’on peut rendre compte de toutes les données cliniques sur la destructivité et la cruauté en supposant qu’il existe une pulsion de destructivité.

Je dirais contre cet argument qu’en rejetant le postulat d’une source ultime de la pulsion de destruction (ou de l’agressivité innée), nous appauvririons toute la base de nos concepts théoriques et tout le système de références de notre travail psychologique. Les implications du concept d’une pulsion de mort agissant en contradiction avec la pulsion de vie sont beaucoup plus riches que celles d’une pulsion destructrice. Nous nous trouverions dans une situation analogue à celle où nous étions face aux problèmes sexuels avant de reconnaître la pulsion sexuelle comme dérivée d’une entité plus large, la pulsion de vie. Le caractère impératif des pulsions sexuelles et la signification du plaisir pour la vie émotionnelle n’ont été compris qu’incomplètement avant que Freud ait montré que la libido dérivait de la pulsion de vie. Il y a eu un hiatus dans l’ordonnancement théorique des faits tant qu’on a cru que les pulsions d’autoconservation s’opposaient aux pulsions sexuelles. Bien des problèmes sont devenus plus accessibles quand Freud a uni les pulsions sexuelles et les pulsions d’autoconservation comme expressions différentes d’une force unique qui les détermine, la pulsion de vie.

De la même façon, la cruauté et tout le système de motivations qui s’y lie ne peuvent se voir dans leur perspective authentique que si on les considère comme dérivés d’une source aussi puissante et décisive que la pulsion de mort. Sans cette connexion, la pulsion de destruction se trouve, pourrait-on dire, en l’air, comme un ambassadeur sans État qui puisse rendre compte de son existence et de ses fonctions. Réciproquement, la théorie des pulsions de vie et de mort, d’une antithèse aussi définitive et cardinale que celle qui se produit entre des pulsions primaires en conflit intrinsèque, nous offre un pont vers les aspects les plus profonds de la nature humaine, et nous aide en même temps à retrouver notre voie à travers l’étonnante richesse de significations (surdétermination) et d’ambiguïtés des expressions observables des processus psychologiques. La surdétermination est causée par cette dualité de base, et porte témoignage des opérations dynamiques qu’elle engendre.

En outre, l’acceptation de la théorie de la pulsion de mort change notre jugement sur l’hostilité et la cruauté ; puisque en effet ce sont des éléments d’un réseau émotionnel complexe, et en interaction constante, notre conception de la personnalité dans son ensemble s’en trouve influencée. On voit le psychisme humain forcé par sa nature même de trouver constamment sa voie entre deux forces fondamentalement opposées dont dérivent toutes les émotions et les sensations, tous les désirs et les actes. Il ne peut jamais échapper au conflit ni rester statique, mais il doit toujours aller de l’avant, et s’efforcer s’établir un équilibre entre ces tendances antithétiques. C’est le succès dans l’issue de ces efforts qui permet les états d’harmonie et d’unité, et ces états sont menacés par des facteurs endogènes aussi bien que par des facteurs exogènes. Et, puisque les pulsions sont innées nous devons déduire qu’une certaine forme de conflit existe dès le début de la vie.

Nous estimons que l’orientation à l’égard des problèmes psychologiques qui découle de l’acceptation des pulsions primaires de vie et de mort est d’une valeur inestimable dans notre travail. Notre appréciation des conflits dans les relations sociales est remarquablement influencée par le fait de les envisager sur l’arrière-fond dynamique d’une lutte intrapsychique perpétuelle entre la vie et la mort. Nous n’entendons que plaintes, dans notre travail, sur des dommages causés à nos patients par leurs parents, leur femme, leur mari, leurs compagnons de travail, etc. ; ces plaintes semblent souvent dignes de foi et concordent avec des observations générales. Et pourtant l’analyse montre la quantité d’expériences malheureuses qui sont activement provoquées ou exploitées par celui qui en souffre. À cause de la nécessité de défléchir la haine et la destructivité, en fin de compte la pulsion de mort, du moi vers les objets, on a besoin d’objets « mauvais », et on les fabrique si l’on n’en trouve pas à portée.

Le problème de la frustration (des besoins corporels ou des désirs libidinaux) est étroitement lié à celui-ci, et il apparaît sous un jour différent si on le considère à partir de l’action des pulsions de vie et de mort. Puisque la frustration agit comme un levier pour la déflection de la haine et de la destructivité hors de la personne, on la recherche pour pouvoir haïr et anéantir avec plus de justifications l’objet qui inflige la douleur ou la frustration. Ainsi la frustration a sa place de plein droit dans l’ensemble des défenses primitives. Mais c’est précisément pour cette raison qu’un milieu frustrateur, le manque de compréhension ou d’amour, sont si dangereux pour l’enfant. Quand le milieu va au-devant de sa nécessité primitive de défléchir ses pulsions destructrices, par sa froideur, son refus ou son hostilité, un cercle vicieux se crée. L’enfant croît dans l’attente de la méchanceté, et, quand ses craintes se trouvent confirmées par le monde extérieur, ses propres pulsions cruelles et négatives se perpétuent et s’intensifient.

Notre compréhension de l’individu devient plus poignante si nous avons conscience des sources biologiques profondes d’où naissent sa destructivité, son besoin défensif du malheur et ses angoisses ; et notre capacité de traiter des problèmes techniques aussi déconcertants que le sadomasochisme, le délire de persécution ou la réaction thérapeutique négative, augmentera grâce à la lumière que nous pouvons acquérir pour notre travail de la conception freudienne des pulsions de vie et de mort.

 


1 Le mécanisme psychique des phénomènes hystériques (1893).

2 Au-delà du principe du plaisir (1920), p. 47.

3 Une difficulté de la psychanalyse (1917).

4 « Nous admettons qu’il y a deux sortes, essentiellement différentes, d’instincts : les instincts sexuels, le mot sexuel étant pris dans son sens le plus large, l’Éros, si vous préférez, et les instincts d’agression dont le but est de détruire. Vous trouverez qu’il n’y a là rien de nouveau et que je ne fais qu’essayer d’expliquer théoriquement l’opposition entre la haine et l’amour, opposition qui se confond peut-être avec cette autre : l’attirance et la répulsion dont les sciences physiques admettent l’existence dans le monde inorganique. Mais, chose étrange, nombre de gens considéreront cet exposé comme une dangereuse innovation qu’il convient de rejeter au plus vite. C’est à mon avis l’influence d’un facteur affectif qui se manifeste dans ce rejet. Pourquoi avons-nous, nous-mêmes, tant tardé à admettre l’existence d’un instinct d’agression ? Pourquoi n’avons-nous pas hardiment mis en lumière, expliqué théoriquement des faits qui sautent aux yeux et que chacun connaît ? Sans doute la résistance serait-elle moindre si pareil instinct n’était prêté qu’à l’animal. Mais admettre la présence de cet instinct dans la nature humaine, voilà qui parait sacrilège, voilà qui va à l’encontre d’un trop grand nombre d’hypothèses religieuses et de conventions sociales. Non, il faut que l’homme soit bon, ou tout au moins, bienveillant. S’il se montre à l’occasion brutal, violent et cruel, la faute en incombe à certains troubles passagers de sa vie sentimentale, troubles provoqués, pour la plupart, et dont est responsable, sans doute, la défectueuse organisation sociale maintenue jusqu’à ce jour » (Freud, Nouvelles conférences sur la psychanalyse, p. 161-162).

5 Cf. aussi : « … ce qui nous amena à admettre la présence chez l’homme, d’un instinct d’agression et de destruction, ce ne furent ni les enseignements de l’histoire, ni notre propre expérience de la vie, mais bien certaines considérations générales suggérées par l’observation de deux phénomènes : le sadisme et le masochisme. » (Nouvelles conférences sur la psychanalyse, p. 142).

6 Stout, The Groundwork of Psychology, p. 26.

7 Les deux erreurs proviennent à mon avis d’une attitude narcissique de la part du travailleur scientifique, qui reste éloigné de l’objet de sa recherche, dans un cas parce qu’il suit seulement ses propres caprices, dans l’autre parce qu’il refuse toute contribution personnelle à ses observations. Cette attitude narcissique est essentiellement stérile.

8 Cf. chap. IV et IX. Dans son article Introduction au narcissisme (1914), Freud examine diverses attitudes à l’égard de l’objet d’amour qui peuvent s’observer chez les hommes et les femmes. Il décrit comme caractéristique de l’homme d’aimer selon le type anaclitique et de faire preuve d’une surestimation de l’objet aimé. « L’amour objectal complet du type anaclitique est, à proprement parler, caractéristique de l’homme. Il montre la nette surestimation sexuelle qui dérive sans doute du narcissisme originaire de l’enfant, transféré maintenant sur l’objet sexuel. Cette surestimation sexuelle est l’origine de l’état particulier qu’on appelle « être amoureux », état qui fait penser à une compulsion névrotique, et qui peut ainsi se réduire à un appauvrissement du moi qui se dépouille de sa libido en faveur de l’objet aimé. »

Un examen plus détaillé des mécanismes utilisés dans ce que Freud appelle ici « transfert sur l’objet sexuel » a montré que des parties du moi sont ici clivées et projetées. Des composantes des attitudes du moi, des traits de caractère, etc., et de la libido sont refusées par la personne, clivées du moi et projetées sur l’objet, qui apparaît dès lors comme doué de qualités hautement appréciées qui le rendent non seulement suprêmement digne d’amour, mais encore excessivement supérieur au sujet (cf. le concept d’identification projective défini dans le chap. IX).

9 Inhibition, symptôme et angoisse, 1926, p. 30, 97, etc., trad. Jury et Fraenkel.

10 The Pathology of Morbid Anxiety (1911), p. 423. « L’angoisse morbide est souvent décrite par les freudiens comme dérivant de la sexualité refoulée. Ceci est vrai sur le plan clinique, mais il est peut-être plus exact sur le plan psychologique de la décrire comme une réaction contre la sexualité refoulée, une réaction dérivée de l’instinct de peur (les italiques sont de moi).

11 Cf. chap. VIII, et aussi La psychanalyse des enfants.

12 Ernest Jones, loc. cit.

13 Freud, Au-delà du principe du plaisir.

14 Cf. chap. V.

15 Todestrieb und Masochismus (1935).

16 Voir La psychanalyse des enfants (1932).

17 Comme Freud l’a décrit avec quelque détail dans La (dé)négation.

18 Cf. la description par Joan Rivière des charges destructrices des divers organes « Les membres vont cogner… », p. 48.